Quelle lectrice êtes-vous
Dominique Bona ?
« Il faut que j’entende un livre »
De Colette, nous connaissons beaucoup de choses: son amour de la nature, ses liaisons (parfois) scandaleuses, la naissance de sa vocation, son talent… Il y a eu des biographies, récemment une bande dessinée (http://www.onlalu.com/livres/divers-bande-dessinee/apprentissages-de-colette-annie-goetzinger-26080). Elle-même s’est beaucoup racontée, à peine cachée, dans des fictions… Mais Dominique Bona, comme elle l’avait déjà fait dans de précédents livres, délaisse le parcours classique et chronologique pour s’attarder sur une période particulière, en 1914, où, une fois les hommes partis à la guerre, Colette prend des « colocs » pour peupler le chalet qu’elle habite habituellement avec Henry de Jouvenel. Une vraie complicité lie ces quatre amies que seule la mort séparera. Elles se disent tout, se pardonnent tout et s’amusent beaucoup malgré les temps difficiles. Avec « Colette et les siennes » (éditions Grasset), l’académicienne nous donne une folle envie de (re)plonger dans l’œuvre de la romancière. Cela me semblait donc l’occasion rêvée de lui demander de nous raconter son parcours de lectrice assidue.
Avez-vous toujours aimé lire ?
Toujours. Enfant, rien ne valait un moment de solitude avec un livre. C’était le bonheur absolu. Ça l’est resté. Je me plongeais dans les vieilles collections de la comtesse de Ségur qui avaient appartenu à ma mère et à ma tante. Je lisais aussi Enid Blyton, mais jamais de bandes dessinées ou de livres illustrés. Je me souviens également de ces gros recueils de contes et légendes ancestraux : « La petite sirène », « La petite fille aux allumettes »…
Vous souvenez-vous de ce que vous éprouviez ?
Une certaine liberté. La vie d’enfant était très encadrée, avec beaucoup d’obligations. Grâce à la lecture, les portes et les fenêtres s’ouvraient sur un monde possible, imaginaire.
Y avait-il beaucoup de livre chez vous ?
Ce qui a précédé le livre chez moi, c’est la voix chaude de mon père, Arthur Conte, qui a énormément compté dans mon enfance. Avec ses chansons, les poèmes qu’il récitait… Dans son village du sud de la France, la tradition orale demeurait très vivante. Il nous a raconté les histoires qu’il avait entendues petit. Dans la maison de mes parents, il y avait surtout des livres d’Histoire, puisque mon père était historien. Mais dans la bibliothèque de ma grand-mère, à Perpignan, où je passais mes vacances, se trouvaient les ouvrages de Balzac, Stendhal, Maupassant, André Maurois, Pierre Loti, Pierre Benoist, Roger Martin du Gard. Mais j’aimais aussi beaucoup Pearl Buck, Cronin, Bromfield, les sœurs Brontë, Daphné du Maurier. Ce qui m’attirait, c’est que l’on me raconte une histoire. Cela me permettait de m’extraire de l’extérieur, m’offrait une solitude peuplée de personnages.
C’est à cette époque que vous avez découvert Colette ?
Je pense l’avoir lue vers 16 ou 17 ans, mais je n’ai pas eu le coup de foudre pour ses livres tout de suite. Les Claudine m’avaient plutôt agacée. Je l’ai redécouverte plus tard, alors que j’étais une jeune adulte. Je suis tombée par hasard sur « Le blé en herbe », un roman que j’adore, inspiré de son histoire avec Bertrand de Jouvenel. J’ai été émerveillée par cet univers à la fois sensible et sensuel, ce fut la révélation d’une écriture. Un autre auteur que j’ai découvert à peu près en même temps et qui est très proche de Colette, c’est Françoise Sagan. Pour moi, elle en est l’héritière directe, à la fois par la liberté qu’elles ont toutes les deux, liberté de penser, liberté d’aimer. Mais aussi par une sorte de plume vibrante, plus sèche chez Sagan, mais qui a décidé d’aller au cœur des sensations.
Qu’est-ce qui vous touche le plus dans un livre, l’histoire ou l’écriture ?
A 15 ans, je pensais que c’était l’histoire, mais je crois que, sans le savoir, j’étais déjà sensible à la manière dont on me la racontait. Je me souviens que des cousines me passaient des romans d’amour, et que cela me barbait. Dans un livre, je cherche une voix, il faut que j’entende un livre. Et Colette est sonore, musicale, elle varie le rythme.
Vous souvenez-vous de vos grands chocs littéraires ?
Ils sont rares il faut bien le reconnaître. Chronologiquement, le premier fut « La Chartreuse de Parme » de Stendhal. C’est le roman parfait que je voudrais relire cent fois. Il est nonchalant, paresseux, peu structuré, c’est une promenade délicieuse en Italie avec des personnages que j’aimerais avoir près de moi, avec lesquels je voudrais dîner chaque soir! Ce roman me semble plein de bonnes ondes, il me fait du bien. Je me souviens de la première fois où je l’ai lu, dans ma chambre d’adolescente à Paris, alors que je suivais des études pesantes. Cette lecture fut prodigieuse.
D’autres coups de cœur ?
Le second choc se produisit à l’université, pour la littérature du Moyen âge: « Le roman de la rose », Chrétien de Troye, les romans de chevalerie et surtout « Tristan et Yseult ». J’ai écrit une thèse sur « Les fées et les sorcières dans la littérature du 12e siècle ». Mon dernier choc enfin fut provoqué par la lecture de Romain Gary, « Les racines du ciel ». Tous ces livres se rejoignent, car ce sont des œuvres souples, pleines de féérie, dans lesquelles la part de hasard compte beaucoup.
Lisez-vous beaucoup de contemporains ?
Oui, parce que je suis membre du jury Renaudot, et pour le prix de l’Académie française aussi. Mais cela m’intéresse et j’en lirais de toute manière. Je continue à lire cependant ou plutôt à relire mes livres préférés le soir. Il y a quelques années, j’ai découvert les policiers. Mon auteur préféré? Fred Vargas ; il y a à la fois l’efficacité du récit, le sens de l’intrigue qu’elle possède à merveille, et j’aime beaucoup son commissaire Adamsberg. J’apprécie surtout son ton, son univers, ce mélange d’humour et de franc-parler. Et puis un autre que j’ai dévoré récemment, « Le chien de minuit» de Serge Brussolo.
Y a-t-il un livre qui vous a donné envie d’écrire?
Non, à moins que ce ne soit de l’ordre totalement inconscient. En 1981, j’ai publié un roman d’amour, « Les Heures volées », qui se passe entre Perpignan et Barcelone. J’avais deux enfants petits, je les promenais dans ce paysage de vignes, avec les Pyrénées en toile fond, et je me suis dit, « je vais raconter ça »! J’ai alors commencé une nouvelle vie, prenant conscience de la place que tenait l’écriture dans mon existence sans que je m’en sois rendue compte. Ce n’était pas du tout un projet construit. J’ai poursuivi à l’instinct. Il y eut ensuite «Argentina», et mon troisième livre fut la biographie de Romain Gary, qui m’a demandé beaucoup de travail, car ce n’est pas un personnage facile, il a toujours avancé masqué. Mais après l’avoir terminé, j’ai pensé, « c’est formidable une biographie, une vie réelle peut être aussi romanesque qu’une vie imaginaire.»
COMMENT LISEZ-VOUS
Marque-pages ou pages cornées ?
Le marque-pages pour savoir où j’en suis. Mais il m’arrive de corner une page pour me souvenir d’un passage.
Debout, assise ou couchée ?
Toujours couchée, soit dans ma chambre, soit sur un canapé. Mme Récamier !
Jamais sans mon livre ?
J’ai souvent un livre sur moi, mais si je vais chez un médecin ou si je prends le métro, je ne lis pas. Quoi qu’il en soit, j’ai toujours un livre en cours. Je lis tout le temps!
Un ou plusieurs à la fois ?
Maximum deux. Un la journée, un le soir. Les enfants ont des doudous, moi j’ai des livres bienaimés.
Combien de pages avant d’abandonner ?
Une bonne cinquantaine. Je ne lâche pas facilement un livre, je m’accroche.
CINQ INCONTOURNABLES
-« La Chartreuse de Parme» de Stendhal
-« Climats » d’André Maurois
-« Le blé en herbe » de Colette
-« Bonjour Tristesse » de Françoise Sagan
-« Les enchanteurs » de Romain Gary
Propos recueillis par Pascale Frey
Lire d’autres « Quel lecteur êtes-vous? »