Deux ans déjà que Calme et tranquille (même éditeur, Le Tripode) est sorti. Je me souviens encore du choc de lecture que ça a été. Autant dire que j’attendais son 2e livre avec impatience. C’est difficile de crier au « talent littéraire » sur un seul texte, alors, forcément, le plaisir de terminer « Le Sillon » dans le même état d’émotion que pour son premier texte est rassurant. Enfin, autant qu’on puisse l’être après une telle claque. Car si la magie opère encore, ce qui se lit dans ces pages n’est pas une ode à la joie. A la vie, à la mort, à l’amour, à l’amitié oui.
Lire Valérie Manteau, c’est comme se promener sur une plage hors saison, pieds nus, le pantalon à mi-mollets. Il y a peu de bruits, sauf celui du ressac, le vent saisit parfois, entre deux rayons de soleil, le paysage est à la fois familier et insolite. Et puis, tout à la contemplation de l’horizon, on ne prête plus attention aux vagues qui viennent vous réveiller d’un coup, donnant à votre pantalon un futur parfum de chien mouillé.
Personnage central du livre : Istanbul. Et ses représentants de la scène culturelle alternative, artistes underground, intellectuels en révolte qui gravitent autour de la narratrice et de son amant, point d’ancrage sur lequel la jeune femme semble avoir de plus en plus de mal à se fixer. Est-ce la faute de ses fantômes ? Ceux de Charlie ? Ou à cause de sa nouvelle lubie : écrire sur le journaliste Hrant Dink, assassiné en 2007…
L’autofiction se mêle au reportage stambouliote. Valérie (se) raconte, d’ivres errances en retours sur terre douloureux. Ici l’on croise Asli Erdogan, là le souvenir de l’ancien journaliste de l’hebdomadaire Agos (« Le Sillon) dont l’auteure interroge le passé. Les origines arméniennes de Hrant, son enfance, sa mort, ses engagements sont rappelés.
La romancière cite de nombreux auteurs, comme une invitation à les lire pour qu’ils puissent (continuer d’)exister. Pinar Selek, Jean Kehayan, Elif Şafak, Ece Temelkuran, Yaşar Kemal, Hakan Günday,… et Hrant, dont la vie est un roman qui se termina tragiquement.
Ce texte, hypnotique, ne se contente pas de donner à connaître un peu de cette Turquie qui tente de résister au régime d’Erdogan. Il permet de suivre une jeune femme qui, depuis les attentats de Charlie Hebdo, puis ceux qui ont frappé la Turquie, semble flotter entre deux mondes. Entre deux espoirs.