o n l a v u L’Arcadie de Bonnard est troublante, elle se glisse dans la représentation de l’espace familier, parfois apaisante, parfois inquiétante. Elle est là au bout du jardin, à Vernon (Salle à Manger à la campagne, 1913) comme au Cannet (Le Jardin, 1936-1938), où la couleur explose. Cette rétrospective constitue l’occasion unique d’apprécier l’art décoratif de Bonnard, des paravents Nabis aux paysages familiers jusqu’aux décors monumentaux des dernières salles. L’exposition nous plonge aussi dans le mystère de la relation du peintre à son modèle. C’est l’histoire de Marthe et de Pierre, les époux, dont le mariage en 1925 fut scellé quelques semaines plus tard par le suicide de la jeune modèle, Renée Monchaty. Du cabinet de toilette au jardin, la peinture de Bonnard est vouée à la féminité. Contempler ces peintures nous transporte dans le silence d’un après-midi ensoleillé, où sous l’arbre ou derrière les persiennes, se meuvent à peine des corps splendides et muets. Beauté et sentiment d’étrangeté sont de bonnes raisons d’aller au musée d’Orsay et de rentrer de cette balade en Arcadie avec deux ou trois livres dans son panier. Finalement, la confrontation avec l’œuvre de Bonnard transporte dans le jardin secret de sa peinture. La lecture du petit recueil « Observations sur la peinture » composé par le peintre à partir de notes relevées dans ses carnets est en cela la juste prolongation de l’exposition. Elle permet une sorte de conversation imaginaire avec l’artiste, comme de prendre la mesure de ses recherches plastiques. Le catalogue de l’exposition ensuite, Pierre Bonnard (1867-1947), est de grande qualité, textes et images compris, et on savoure particulièrement les reproductions grand format des photographies et des décors monumentaux que permet le livre. Ne manquez pas Marthe au tub (1908-1910), tirage moderne agrandi à partir d’un négatif de Bonnard : le corps de Marthe est d’une grande beauté. Quelques pages plus loin, le texte inédit d’Antoine Terrasse, historien de l’art et petit-neveu du peintre, évoque le rapport du peintre au modèle, Marthe la muse, mais aussi Misia, Lucienne, Renée, Moucky Vernay. Son témoignage est une source sensible pour approcher les autoportraits au miroir ou la douceur mélancolique des scènes intimes de la toilette. Devant les nues de Bonnard, on pense à Degas, tout le temps, et même encore quand on passe du tub à la baignoire de la salle de bain moderne avec ses céramiques hygiénistes. Car l’intimité est à la fois saisie à la sauvette et infiniment. Comme chez Degas, le modèle ne se sait pas regarder et ne nous regarde jamais. L’instant semble une éternité. Le regard disparait… Ce que Joann Sfar, génial invité surprise du catalogue, n’a pas pu supporter. De ses « deux mois en compagnie de Bonnard à regarder ses baigneuses », Sfar livre dans le catalogue son récit en images, que complète l’album Je l’appelle monsieur Bonnard. Dans ses dessins et aquarelles inspirés du peintre, le dessinateur dit s’attacher aux yeux et aux expressions : lui n’a pas peur du regard amoureux ! Lire aussi: Exposition au Musée d’Orsay du 19 mars au 19 juillet 2015. En savoir plus. |
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