Le liseur du 6 h 27
Jean-Paul Didierlaurent

Folio
mai 2014
208 p.  7,50 €
 
 
 
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Un conteur

Guylain Vignolles, ça sonne bien, c’est un joli nom, ou mais voilà, c’est aussi l’anagramme ou la contrepèterie de Vilain Guignol et ça, il l’a entendu tout sa vie. Qu’est-ce qui a pris à ses parents de l’affubler d’un tel prénom ! Un mauvais départ dans la vie « En 36 ans d’existence, il avait fini par apprendre à se faire oublier, à devenir invisible pour ne plus déclencher les rires et les railleries qui ne manquaient jamais de fuser dès qu’on l’avait repéré ». Cette insignifiance le fait entrer à la Stern Company, là où il travaille avec La Chose, la Zerstor. Guylain travaille au pilon. C’est un drame pour lui qui aime tant les livres. C’est aussi incongru qu’un végétarien boucher. Alors, lors de la toilette quotidienne de la Chose, il arrive à planquer sous son tee-shirt, quelques feuillets, à les sauver de la destruction. Suprême pied de nez à la Chose, Guylain les lie à haute voie dans sa rame de RER, au grand plaisir des voyageurs à peine réveillés. Ah, le pouvoir des mots sur la grisaille quotidienne, l’ennui, la Chose. Pourtant, il manque toujours quelque chose à Guylain qui, pourtant, n’espère rien. L’espoir, le réveil naîtront d’une petite clé USB rouge perdue sous son siège et qu’il ouvrira. Cette clé ouvrira-t-elle vers de nouveaux horizons ? le Paradis ? Vous le saurez en lisant ce livre dont j’ai savouré le ton alerte, chaleureux. Les personnages loufoques et ou poétiques emplissent les pages d’une belle humanité, sauf, bien sûr, le contremaître !
Comme quoi, du pilon peut sortir un bijou.

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coup de coeur

Une histoire d’amour qui finit bien

La mode semble être aux histoires qui finissent bien, aussi bien au cinéma qu’en littérature. Le premier talent de Jean-Paul Didierlaurent aura donc été de s’inscrire dans cette veine en nous offrant une histoire d’amour très originale.
Pourtant tout n’est pas très joyeux dans la vie de Guylain Vignolles, à commencer par la dyslexie volontaire de tous ceux qui s’ingénient à l’appeler « vilain guignol ». Son métier non plus n’est pas très drôle, puisqu’il passe son temps à reycler les livres mis au pilon, aux commandes d’une machine monstrueuse, la Zerstor 500 : « La Chose était née pour broyer, aplatir, piler, écrabouiller, déchirer, hacher, lacérer, déchiqueter, malaxer, pétrir, ébouillanter. Mais la meilleure définition qu’il eût jamais entendue restait celle que le vieux Guiseppe se plaisait à gueuler lorsque le mauvais vin qu’il ingurgitait à longueur de journée n’avait pas suffi à éteindre la haine viscérale qu’il avait emmagasinée au fil des ans vers la Zerstor 500 : ça génocide ! ».
Pour passer le temps, et peut-être pour ne pas laisser mourir tous ces écrits, il a pris l’habitude de déclamer quelques passages dans son train de banlieue. Au fil des voyages, il commence à se constituer un petit public et notamment deux sœurs qui le sollicitent pour venir faire la lecture dans une maison de retraite.
Guylain accepte et propose à son collègue, qui déclame des alexandrins dans sa loge, de l’accompagner.
Un jour, il découvre une clé USB et une sorte de journal rédigé par une personne travaillant comme «dame-pipi» dans un centre commercial. A la lecture du journal, il se dit qu’il aimerait bien rencontrer cet auteur si particulier. Guiseppe, qui a été victime de la Zerstor, va essayer de le seconder dans sa quête.
Ce premier roman, notamment avec le brio dont est mené cette fin, est une belle réussite saluée par une critique quasi unanime. Gageons que vous serez de leur avis en refermant le livre ! Retrouvez Henri-Charles Dahlem sur son blog    

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coup de coeur

OSER ENFIN S’OUVRIR AU MONDE ET A L’AMOUR

Guylain Vignolles est un quasi-trentenaire qui vit seul avec un poisson rouge dans un studio en banlieue parisienne. Enfant, il a dû subir les moqueries de ses camarades de classe quant à son patronyme qu’ils transformaient en « vilain guignol ». Ce qui l’a rendu plutôt solitaire.

Il travaille dans une usine où l’on passe au pilon les livres invendus. Chaque jour, la Zerstor 500, effroyable machine pourvue d’immenses « dents » broie des milliers de livres. Un crève-coeur pour Guylain, grand lecteur.

Aussi, s’est-il donné pour mission de sauver chaque jour 10 feuillets récupérés dans la broyeuse. Et, chaque matin, assis sur le strapontin du même wagon du RER de 6H27, il lit à haute voix les feuilles rescapées aux autres passagers, offrant ainsi à ces inconnus un moment de partage : « Lorsque le RER s’arrêta en gare et que les gens quittèrent leur wagon, un observateur extérieur aurait pu sans peine remarquer à quel point les auditeurs de Guylain détonnaient d’avec le reste des usagers. Leur visage n’affichait pas ce masque d’impassabilité qu’arboraient les autres voyageurs. Tous présentaient un petit air satisfait de nourrisson repu. »

A la demande de deux passagères, Guylain ira lire dans une maison de retraite où ils rencontrera des petits vieux savoureux. Puis, un matin, le hasard (?) lui fera découvrir sur le strapontin une clé USB contenant des documents. Apparemment, il s’agit du journal d’une jeune femme « dame-pipi » dans un grand centre commercial de la région parisienne.

Touché par ce qu’il lit, emporté par la curiosité, Guylain mettra tout en oeuvre pour retrouver cette jeune femme.

Ce roman est incroyablement vivifiant, émouvant et drôle.

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Ne ratez pas le liseur du 6h27

Voilà du réjouissant, du jouissif, du libertaire : précipitez-vous sur ce petit opus de 210 pages d’humour, de poésie et de liberté ! Qu’il ait été publié aux éditions du Diable Vauvert, maison indépendante dans tous les sens du terme, n’est pas innocent. Petite parenthèse : allez vous promener sur le site de la dite maison, cela vous changera agréablement des gros paquebots.

Dans l’opus de l’enfant très réussi de Raymond Queneau et de Jean-Pierre Jeunet nous avons affaire à un liseur et non à une liseuse.

Certains naissent sourds, muets ou aveugles. D’autres poussent leur premier cri affublés d’un strabisme disgracieux, d’un bec de lièvre ou d’une vilaine tache de vin au milieu de la figure. Il arrive que d’autres encore viennent au monde avec un pied bot, voire un membre déjà mort avant même d’avoir vécu. Guylain Vignolles, lui, était entré dans la vie avec pour tout fardeau la contrepèterie malheureuse qu’offrait le mariage de son patronyme avec son prénom : Vilain Guignol, un mauvais jeu de mots qui avait retenti à ses oreilles dès ses premiers pas dans l’existence pour ne plus le quitter.

Le ton est donné. Guylain Vignolles, trente-six ans, essaie de se faire oublier. Il vit avec un poisson rouge nommé Rouget de Lisle (Amélie Poulain, je vous dis…) et exerce le plus épouvantable des métiers pour qui aime lire et les livres : il actionne le pilon de la broyeuse Zestor 500 et passe sa vie à détruire sa raison de vivre. Mais tous les soirs, en nettoyant la machine, il récupère les feuillets qui n’ont pas été broyés, les sèche entre des buvards et les lit le lendemain matin aux passagers du RER de 6h27.
Je ne déflorerai pas la quête de Guylain, vous risqueriez de ne pas lire le livre et ce serait dommage pour vous.

Tout m’a plu dans ce roman sensible, drôle et atypique.
D’abord l’écriture, à la fois enlevée et peaufinée comme seuls se le permettent ceux qui ne comptent pas sur l’écriture pour les nourrir ; ensuite les personnages dits avec mépris secondaires qui peuplent le récit : tous bénéficient d’un traitement royal, les gentils comme les méchants. Yvon Grimbert le gardien qui lève la barrière pour les camions pleins de livres ne s’exprime qu’en alexandrins, quant au prédécesseur de Guylain dont les jambes ont été broyées par la machine, il passe son temps à rechercher tous les exemplaires du livre qui a été fabriqué ce jour-là avec la pâte à papier, histoire de récupérer ses jambes. Du côté des méchants ce n’est pas triste non plus mais la palme revient à la machine, une bête monstrueuse qui n’est pas sans rappeler La Bête humaine… On n’est d’ailleurs pas loin de Zola pour les conditions de travail :

D’abord il ne se passa rien. A peine un tressaillement du sol lorsque la Chose lança un premier hoquet de protestation. Le réveil était toujours laborieux. Elle rotait, crachotait, paraissait rechigner à s’élancer mais une fois la première gorgée de fioul passée, la Chose se mettait en branle. Monta d’abord du sol un grondement sourd suivi aussitôt d’une première vibration qui partit à l’assaut des jambes de Guylain avant de travers son corps tout entier. (…) La Zestor était une ogresse qui avait ses humeurs. Il arrivait parfois qu’elle s’engorgeât, victime de sa propre voracité. Elle calait alors bêtement en pleine mastication, la gueule remplie à ras bord. Il fallait alors près d’une heure pour vider l’entonnoir, (…) une heure pour Guylain à se contorsionner dans les entrailles puantes, à suer toute l’eau de son corps et à subir les invectives d’un Kowalski plus énervé que jamais dans ces moments-là.

Bien sûr un événement minuscule va se produire et déclencher la quête du héros, le conduire de manière savoureuse et décalée vers la Dame de ses rêves, dame pipi/écrivain dans un centre commercial. Zola s’éloigne, nous revenons à Amélie Poulain, cela vire un peu rose bonbon mais Guylain a bien gagné le droit de présenter quelqu’un à Rouget de Lisle… et nous de revenir de cette lecture sans prétention enchantés du voyage, comme les voyageurs du RER de 6h27.

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