C’est l’histoire d’une jeune femme qui, d’un coup, perd tout ce à quoi elle tient, travail, mari, confort, statut, puis tente de remonter la pente. Le genre d’intrigue que ne renierait pas Douglas Kennedy. La même jeune femme, repartie de zéro, réalise que son nouveau mari n’est pas celui qu’elle croyait. Une situation dont se régaleraient Harlan Coben ou Gillian Flynn. Sinon qu’on est chez Dennis Lehane. « Après la chute », son treizième roman, révèle un visage inédit de l’auteur rendu célèbre par « Gone, baby, gone » (polar pur et dur), « Shutter Island » (thriller psychologique) et « Un pays à l’aube » (fresque historico-policière).
Qu’il cherche à se réinventer est moins surprenant que de le retrouver sur le terrain de chasse de romanciers habitués aux têtes de gondole. Mais après tout, pourquoi pas ? Pourquoi l’ambitieux écrivain bostonien, consacré par plusieurs adaptations au cinéma réussies et par une carrière parallèle de scénariste, ne se frotterait-il pas un jour à ce style de « pitch » qui fait les bonnes lectures d’été ou les best-sellers de fin d’année ? Et de fait, on a très vite envie de savoir comment va rebondir la trentenaire Rachel, lestée de tous ses fardeaux… Fille unique longtemps étouffée par la brillante intelligence de sa mère psy. En quête d’un père dont celle-çi lui a toujours caché l’identité. Journaliste-star terrassée par une crise de panique en plein direct. Mariée à un producteur qui n’aime en elle que le reflet de sa propre réussite. Remariée à un beau gosse qui, enfin, l’adore et la rassure, mais la délaisse souvent pour affaires, recluse avec ses interrogations…
Plus prévisible ?
On se prend à tourner les pages en vitesse de croisière, confiant dans une mécanique bien huilée. Avec pourtant des turbulences. Une suite de retournements de situation à 180 degrés qui, certes, vont trouver une explication rationnelle, une logique de scénariste, toujours au nom du suspense. Mais qui finissent par occulter ce que Rachel et son partenaire Brian ont vraiment dans les tripes, quels sentiments, quelles peurs, quelle âme. L’histoire commande aux personnages, leur dicte des réactions si inattendues, si folles, qu’on les perd un peu de vue. On veut absolument savoir ce qu’il y a « après la chute » et l’ennui n’est jamais au rendez-vous. Mais une fois le livre refermé, les personnages s’effacent très vite. Et l’auteur avec eux. Bien sûr, peu de romanciers pourraient écrire treize romans aussi forts que les trois ou quatre qui ont fait la réputation de Dennis Lehane. On ne conclura donc pas de celui-ci que l’imagination de l’auteur de « Mystic River » est à sec. Mais peut-être suit-elle désormais un cours moins impétueux et plus prévisible.