Dans ce roman lumineux en forme d’enquête, Marie Richeux raconte la mémoire de deux cités ayant un bâtisseur commun, à Meudon-la-Forêt et à Alger. La même pierre pour une même utopie : rendre les gens heureux, selon le souhait de l’urbaniste Fernand Pouillon.
Des pierres et des hommes
A l’occasion d’un voyage à Alger, Marie y découvre la plus grande cité baptisée « Climat de France », construite à la demande du maire de l’époque, en 1954. Elle reconnaît la même pierre de taille issue des carrières de Fontvieille, qu’à la résidence du Parc de Meudon-la-Forêt où elle a grandi ; et pour cause, c’est l’architecte Fernand Pouillon qui a réalisé les deux ensembles urbanistiques. Cette ressemblance est fascinante, Marie y voit un rapprochement tangible et symbolique entre les deux pays. Mais qui habite ces grands ensembles, d’une ambition humaniste folle lors de leur construction ? Meudon-la-Forêt accueillera nombre d’Africains du Nord, des pieds-noirs aussi, tandis qu’à Alger, le but est de reloger les populations des bidonvilles. Au long des décennies, ici comme là-bas, le climat social et politique se détériore, on se réfugie parfois dans les paradis artificiels qui font des ravages jusque chez le voisin de Marie, dont le fils meurt d’une overdose en 1997.
Le roman des mouvements
Au fil de ses allers et retours entre la France et l’Algérie, notre narratrice pense le voyage, le déracinement, l’ancrage dans un territoire via des chemins intimes jalonnés par la grande histoire. Les hommes ont toujours traversé la Méditerranée ; mais comment vivre ensemble quand les plaies d’une guerre suppurent encore ? Marie Richeux construit des ponts entre les rives, ouvre des portes, s’intéresse aux grands hommes comme aux vies d’à côté, et découvre non pas une, mais des histoires débordant les cadres. Dans ce roman kaléidoscope tout en délicatesse, elle dit sa soif de lumière, de ciels ouverts sous l’éclat desquels elle regarde, interroge, écoute, retranscrit. A travers les parcours croisés de son voisin enfermé dans son deuil, de l’architecte Pouillon soucieux de l’harmonie, de ses multiples rencontres, l’auteure comprend que l’on habite le temps autant que l’espace. Ce point d’équilibre entre la cité matérielle et spirituelle, voilà peut-être ce qu’on appelle l’esprit des lieux.