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Chienne de vieLe style de Michel Jullien est d’une richesse peu égalée dans le paysage littéraire contemporain. Ici, entre humour et tragédie, il raconte la relation unissant un homme et un chien lors d’un périple qui n’aboutira à rien de moins qu’à l’expérience d’une révélation. Une fausse simplicité Denise, c’est le nom du bouvier bernois qui a jeté son dévolu sur Paul, employé de banque parisien. Paul a hérité provisoirement de la chienne après que sa maîtresse, la sœur dépressive d’une amie, s’en est séparée pour suivre un opportuniste néerlandais aux Etats-Unis. Avant le retour de la jeune femme, Paul profite d’un long week-end pour aller randonner sur le mont Ventoux avec Denise, qui souffre de « couardise urbaine ». L’intrigue paraît simple, mais détrompez-vous, elle est tout entière dans les détails. La partie parisienne du roman est férocement comique, parfois franchement burlesque, avec ce personnage hollandais spécialisé entre autres dans le commerce de trèfles à quatre feuilles. Et c’est peu dire que le chien de 43 kilos détonne sur les trottoirs lors des promenades rituelles, entre lesquelles il guette le bruit de la clé dans la serrure d’une chambre de bonne à peine plus grande qu’une niche. Davantage à la mesure de son gabarit, le mont Chauve offre son espace à l’ascension. Dans cette géographie à perte de soi, au milieu de la solitude du massif vauclusien, Paul ne décidera pas cette fois de l’itinéraire ni de la durée de la balade ; entre chemins pierreux et ravins, on grimpe, on glisse et on oublie le temps. La tragédie peut commencer. Quelque chose de grand Michel Jullien ne dévoile pas tout de suite son jeu, aimant nous semer dans les chemins de traverse, poser des jalons dont on comprend, à la toute fin, qu’ils étaient précieux pour se hisser au faîte du mystère. Peu à peu, le récit se dépouille, âpre et sec, laissant apparaître l’essentiel d’une réalité détachée de tout, dans un hors-temps où le mouvement s’arrête et la contemplation advient. Ce roman délicat à deux versants, écrit dans une langue travaillée en profondeur, nous relie à l’ordre des choses grâce à l’amour sans partage de cette pauvre bête de Denise, guide des sommets splendides.
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coup de coeur
Vie de chien
Prise de contact avec Denise au Ventoux : effarement. Impression de lire un roman de Francis Ponge. Attention, j’aime Francis Ponge, dix lignes, vingt lignes d’une écriture serrée, recherchée, dense, au mot rare, à la tournure désuète voire biscornue. Les choses vues de près, à la loupe, comme on ne les regarde pas, pressé que l’on est. Je parlais de Ponge, du Parti pris des choses, il y a, je crois, de cela chez Michel Jullien, une certaine attention aux choses et aux êtres, à ce qui fait le monde, une sorte de contemplation, amusée souvent, étonnée parfois, fascinée toujours, de la forme que prend ce monde, cuissots de chien ressemblant aux contours de l’Afrique, bêtes à quatre pattes « debout comme des tables », truffe de l’animal dessinant sur la vitre embuée l’esquisse d’une estampe japonaise. Les choses se font paysages, œuvres d’art, natures mortes, le vivant se réifie, encore faut-il prendre le temps de voir, d’observer, d’arrêter son regard, de cesser sa course. Une ode à la beauté, à la vie, à l’amour, au don de soi et au temps qui passe. Un texte fort et inoubliable. Retrouvez Lucia Lilas sur son blog |
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