Un bon test à faire : lire un roman et ne pas le chroniquer immédiatement afin de voir ce qu’il en « reste » un mois plus tard… Ce n’est évidemment pas une expérience que j’ai faite volontairement mais plutôt contrainte et forcée par un calendrier bien rempli.
Alors, que me reste-t-il de cette lecture ? Peu de choses, je dois bien l’avouer… J’ai lu ce texte comme un conte parce qu’il ne m’a pas semblé très crédible, une espèce de conte social : l’histoire d’une femme qui n’a plus rien et dont le mari est parti, la laissant seule avec trois enfants et la peur qu’il les reprenne. Un jour, elle trouve une mobylette qui va lui permettre d’obtenir un travail : elle devient thanatopractrice et grâce à ses dons de couturière, elle fabrique de beaux vêtements pour les morts. Artiste, elle crée aussi des boîtes, des « tissanderies », dans lesquelles elle confectionne des scènes qui représentent de façon symbolique la vie du défunt. J’ai beaucoup aimé l’idée de ces « tissanderies », j’ai même cru que ça existait mais n’ai rien trouvé sous ce terme dans le dictionnaire. De l’histoire, je ne vous dis pas plus… Si j’ai lu ce roman avec plaisir et assez rapidement, ce ne fut pas vraiment un coup de coeur : malgré de beaux passages assez poétiques, on n’échappe pas aux clichés, à une vague impression de déjà vu, déjà lu.
Je terminais donc ce roman un peu déçue, il faut bien le dire, lorsque je découvris qu’il était suivi d’un texte d’une quarantaine de pages intitulé « À la recherche du sixième continent de Lamartine à Ellis Island, relation de voyage ». Très intriguée, je me lançai dans ce petit essai dans lequel l’auteur raconte comment il a été amené à visiter, un peu malgré lui, la ville de New York et de quelle façon il comprit en découvrant Ellis Island l’origine même de la démesure de cette ville, à savoir qu’elle a été bâtie par des émigrés qui, ne possédant rien, ont voulu créer quelque chose de grandiose. « New York… m’apparut être la plus grande ville de pauvres du monde, la seule entièrement faite par des pauvres, construite par des pauvres et même rêvée par eux. » Selon l’auteur, cette ville est « bien plus qu’une cité idéale, elle est un manifeste sur la puissance des pauvres gens, sur la force à inventer un monde et à le bâtir. Et ce n’est pas le rêve américain que j’ai touché là-bas, c’est le rêve socialiste originel. »
Lumineuse analyse qui pour l’auteur devrait nous inciter à être plus accueillants par rapport aux migrants, afin de ne pas se priver de toute la richesse qu’ils pourraient nous apporter…
Mais cela va plus loin : en effet, je me demande si ce petit essai ne vient pas aussi éclairer le sens même du roman qui le précède. Je m’explique : Jean-Luc Seigle raconte que, pour des cours qu’il préparait, il a découvert que Lamartine était d’une certaine façon à l’origine du roman populaire avec son oeuvre parue en 1850 : Geneviève ou l’histoire d’une servante.
Il paraît, en effet que, dans la préface de ce roman, Lamartine parle d’une jeune couturière d’Aix-en-Provence nommée Reine (comme l’héroïne de La femme à la mobylette) venue jusqu’à Marseille pour le rencontrer. Elle souhaitait le remercier pour ses écrits poétiques qui la transportaient et elle lui dit ces mots très touchants : « Quand on vit seule comme moi, on a quelquefois besoin de se parler tout haut pour se convaincre qu’on vit. »
Persuadé qu’elle lisait aussi des romans, Lamartine l’interrogea sur ce sujet mais à sa grande surprise, elle répondit qu’elle ne lisait pas de romans : « aucun ne s’adresse à elle, aucun ne parle d’elle ou de ses semblables. Les romans, affirme-t-elle, sont bien trop éloignés de la réalité des gens ordinaires. » Là-dessus, Madame Lamartine de renchérir en remarquant qu’il n’existait pas, en effet, de véritable héroïne populaire.
Lamartine est convaincu : il faut écrire un roman pour le peuple et dans lequel le peuple serait véritablement au premier plan.
Et soudain, je comprends : n’ai-je pas, sous les yeux, l’héroïne féminine que cherchait à créer Lamartine ? La petite Reine de Lamartine, la petite couturière qui a fait des kilomètres pour rencontrer le grand poète est là, devenue personnage littéraire sous la plume de J-L Seigle. Et ce roman n’est-il pas, d’une certaine façon, une œuvre politique, celle des petites gens dont on parle peu, qui vivent de pas grand-chose et qui meurent sans personne ?
Oui, je pense soudain mieux comprendre le sens de tout cela : est-ce le roman du peuple et pour le peuple dont rêvait Lamartine que nous propose ici J-L Seigle ?
Alors, pourquoi ne pas lire le livre « à l’envers » en commençant par cette postface et en la transformant en préface ?
Allez, je vous laisse découvrir tout cela. Surtout, n’hésitez pas à me dire comment vous voyez la chose…
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