L'Archipel du Chien
Philippe Claudel

Stock
la bleue
mars 2018
288 p.  19,50 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
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coup de coeur

L’archipel du chien est composé d’îlots qui se sont formés suite aux éruptions du volcan Le Brau. Cet archipel, en raison de sa configuration géographique, est très difficile d’accès.

Sur l’îlot principal vit une communauté de pêcheurs et leurs familles. On y trouve aussi tout ce qui symbolise une petite ville : la mairie, l’école et l’église.

Un matin, trois corps de jeunes migrants africains sont retrouvés sur l’une des plages par La Vieille qui y promenait son chien. Deux villageois qui se trouvaient non loin de là sont attirés par les aboiements de l’animal.

Aussitôt prévenu, le Maire arrive sur place accompagné du Docteur et du Curé. L’Instituteur qui faisait son jogging quotidien va tomber par hasard sur le groupe et découvrir la situation.

Le Maire, désireux de ne pas faire parler de l’Archipel alors qu’un gros projet immobilier de Thermes est en pourparlers, va décider de ne pas prévenir les autorités et de se débarrasser des corps. Il va user de menaces pour faire taire ses concitoyens.

Le plus récalcitrant sera l’Instituteur qui, originaire du continent, ne peut adhérer à l’esprit de communauté et de silence des insulaires. Le Maire sera prêt à tout pour le faire taire.

Face à la veulerie des hommes, leur lâcheté, la Nature va se rebeller : le volcan n’aura de cesse de secouer l’île comme pour réveiller ses habitants de leur aveuglement. Les trois corps des jeunes migrants, à qui une sépulture décente n’a pas été offerte vont réclamer vengeance. Une odeur de décomposition va envahir la ville toute entière :

« La maison du Docteur puait comme un chien mort. Il avait disposé sous chaque fenêtre des linges mouillés pour éviter que l’air avarié du dehors pénètre dans les pièces mais ç’avait été peine perdue. Il portait souvent son mouchoir sous son nez tandis qu’il était avec la Vieille. Le parfum de bergamote dont il avait imbibé le linge ne parvenait pas tout à fait à chasser la puanteur. »

J’ai trouvé ce roman, pourtant court, d’une très grande intensité de par son écriture mais aussi les thèmes abordés, notamment celui de triste actualité, c’est à dire les migrants en quête d’une terre d’asile et tous ceux qui ne voient en ces hommes et femmes qu’une marchandise bonne pour un trafic rentable.

Il m’a fait penser au conte norvégien « Le mort reconnaissant » pour les cadavres désireux d’être enterrés ainsi qu’au célèbre roman de Camus « La peste ».

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coup de coeur

fable moderne sociétale

« L’Archipel du Chien » de Philippe Claudel est LE livre qui fait grandir en humanité. Son souffle insulaire est une sacrée leçon de vie. 280 pages qui, telles des vagues dénonciatrices répondent aux rochers assassins. L’écriture est d’une beauté inouïe. Chacune des phrases apporte son flot d’écumes déchirantes et peut s’octroyer le miracle d’une riche littérature. Cette merveille à l’aube-née, digne d’un génie évident est de loin le plus puissant langage pour donner à voir ce que la cartographie de « L’archipel du Chien » emblématise. L’incipit « Vous convoitez l’or et répandez la cendre. »inaugure les affres qui vont se dérouler sur cette île. L’idiosyncrasie accélère son champ d’action. Cette satyre des temps modernes, plus qu’une caricature, devient une mise en abîme du paroxysme du déni. Ce récit sombre, grave, caustique parfois, bouscule et dérange. Il ouvre la voie de cette contemporanéité qui ne peut laisser indifférent. La voix qui conte balaye des yeux chaque mouvement sur l’île. Elle sonde la conscience de ses hôtes. Asexuée, en prisme, elle en devient levier. Le lecteur assiste au pire huis-clos, au fur et à mesure que les évènements vont monter crescendo. Le chaos arrive sur cette île lorsque trois corps de migrants échouent tels les naufragés du « Radeau de la Méduse » de Théodore Géricault. Que faire de cette macabre découverte ? « Notre terre qui est fameuse pour ses sources d’eau chaude, ses paysages, son vin, son huile, ses câpres, deviendrait celle sur laquelle viennent s’échouer des cadavres venus d’Afrique ? Nos eaux pures seraient celles dans lesquelles des morts trempent, marinent et pourrissent ? » L’auteur resserre cette fable âpre autour de 7 protagonistes, le Maire, le Curé, le Docteur, Une vieille femme, l’Instituteur le Pêcheur, le Commissaire. Une réunion a lieu chez le Maire, un soir, comme si le crépuscule atténuait les craintes et la culpabilité de l’après. Repousser du pied ce radeau parabolique. L’Instituteur non sédentaire qui vient d’un entre-monde humaniste va déjouer les plans du Maire qui veut à tout prix bannir l’emblème migratoire à des fins de conformisme et de tranquillité. Ce vil personnage ne pense qu’à son futur hôtel thermal encore en projet. Sa lâcheté devient une épreuve pour l’Instituteur qui, dans sa solitude fraternelle, sera l’unique lien avec la vérité. « Pourquoi il ferait ça ? Par orgueil dit La Vieille, par vanité dit le Curé, par innocence dit le Docteur »Cet instituteur est une bouée de sauvetage, un appel à la rédemption et aux vertus altruistes. Il va donc devenir une carte à abattre. « Il ne semblait pas souffrir de l’extrême chaleur, ni de son effort, tant il était exalté par sa décision et par son acte. Le sentiment d’être dans le juste et le vrai lui donnait littéralement des ailes. »L’île semble devenir démoniaque. Le lecteur cherche une issue de secours, tremblant de honte. La dualité cornélienne de l’histoire mêle toutes les contradictions du genre humain avec une plausible repentance, mais de si courte durée, qu’elle s’évapore subrepticement. Ce récit est une gifle, une bousculade. Le lecteur prend tout de plein fouet. « Qu’est-ce que la honte, et combien la ressentirent ? Est-ce la honte qui rattache les hommes à l’humanité ? Ou ne fait-elle que souligner qu’ils s’en sont irréversiblement éloignés ? »Rien ne s’échappe des entrailles de l’île qui en devient anthropomorphique. C’est elle, le miroir de nos intériorités et de nos faiblesses et lâchetés. Seule l’odeur nauséabonde qui s’élève prégnante, jugera le point final de cette fable caustique. Le rêve du Docteur en pages finales rejette à la surface des eaux troubles ce que son âme aurait voulu. L’hédonisme aurait pu y trouver son heure de gloire. Le Vivre-Ensemble répondre à La Voix. Il en sera rien. « Le Brau » sonne le glas. On ne sort pas indemne d’une telle lecture. Le lecteur reste longtemps immobile après le silence brusque de La Voix. Il voudrait changer l’ordre des choses et se mettre lui aussi dans le versant des faibles. Ce roman majestueux, sublime, est à lire d’urgence sur une île et vous verrez comme tout change. Publié par Stock Roman avec une subtile jaquette dessinée par Lucille Clerc, « L’Archipel du Chien » est en lice pour Le Prix Relay des Voyageurs Lecteurs 2018.

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Le malheur en Méditerranée

P.Claudel sort un peu de ses romans habituels, la « charge « sur ses personnages est lourde voire parfois caricaturale, ce qui en fait plutôt une fable.
Le drame des migrants de notre époque est un sujet brûlant pas si facile à manier; être cynique , lucide, ou moralisateur dépend de la plume employée par celui qui tente d’en faire un roman.
P.Claudel a plutôt choisi la troisième méthode : tous ses fidèles lecteurs( dont je suis) n’ont pas forcément besoin qu’on leur démontre ce qu’il faut faire ou ne pas faire quand un sujet aussi épineux se présente.
Trois pauvres cadavres sont retrouvés sur la plage d’une petite île méditérranéenne jusque là tranquille et sans histoire.
C’est justement pour éviter des histoires que le maire , le docteur, une vieille institutrice, et deux autres habitants décident d’effacer ces noirs cadavres.
Ce sont les caricatures de ces hommes et femmes qui se démènent tout au long du roman , même la Justice divine s’en mêle.
C’est un roman sombre, bien écrit comme d’habitude, mais ce n’est certes pas mon préféré.

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Dès la première page, une voix vous interpelle : c’est la voix du gêneur, de celui qui va placer discrètement un petit caillou dans votre chaussure. Au début, vous ne sentirez rien ou pas grand-chose. Et puis, au fil de la journée, vous vous mettrez à avoir mal puis à boiter. Il vous faudra vous asseoir, prendre le temps de retirer le caillou qui blesse et qui empêche d’avancer. Vous n’en avez pas envie car vous avez d’autres affaires bien plus importantes en vue. Mais le caillou roule, d’avant, il passe en arrière, abîmant maintenant votre talon.
Enfin, vous cédez, vous ne pouvez plus avancer…
Ce caillou, c’est le livre de Philippe Claudel et c’est l’effet qu’il a produit sur moi depuis que j’en ai achevé la lecture.
Laissez-moi vous expliquer.
C’est une histoire qui nous est contée, une parabole : il était une fois une île sur laquelle on ne vivait pas trop mal. Un maire, un docteur, un instituteur, un curé, une vieille femme, des pêcheurs, des enfants s’y croisaient chaque jour. Ils étaient heureux, en paix, entre soi.
Bien sûr, on est un peu loin de tout mais n’est-ce pas là au fond le prix de la tranquillité ? Et puis, les vignes donnent un vin merveilleux, les oliveraies et les vergers de câpriers offrent des récoltes généreuses. Bon, c’est vrai, ce n’est pas tout à fait le paradis terrestre : il y fait un froid glacial l’hiver et une chaleur écrasante l’été, un volcan menace chaque jour de cracher du feu mais pour le moment, je veux dire, avant que la tragédie commence, tout va bien, enfin, pas trop mal.
Or, un jour, tandis que la vieille femme promène son chien sur la plage, elle voit au loin trois formes qu’elle n’identifie pas. Du bois flottant déposé là par la marée ? des bidons ? Peut-être. Elle est vieille et n’y voit plus très bien. Elle s’approche. Ce sont des corps. Morts. Des corps d’hommes noirs et jeunes. Le maire est averti, le médecin arrive. L’instituteur qui courait ce matin-là aussi est présent. Ils regardent les trois corps morts.
Que faire ?
Vous feriez quoi, vous, de trois corps morts ?
Selon votre fonction, vous ne feriez certainement pas la même chose. Et c’est bien là le problème…
Dans son dernier roman, Philippe Claudel se livre à une expérience : dans son laboratoire, la cage a la forme d’une île et les rats ressemblent à des hommes. La main de l’auteur-laborantin a introduit quelque chose de nouveau dans la cage. Certains hommes-rats rongés par le stress et la peur courent désespérément sur leur roue pour s’étourdir tandis que d’autres, apparemment plus calmes, poursuivent leur petite vie pépère, mangent de bon appétit, copulent puis s’endorment. Seul leur sommeil agité laisserait penser qu’ils sont un peu tendus eux aussi.
Comment réagit-on face à l’impensable, l’inacceptable, l’intolérable ?
Êtes-vous du genre « la tête dans le sable » ou bien gardez-vous la tête haute pour regarder les choses bien en face ?
Si vous appartenez à la première catégorie, L’Archipel du Chien vous fera passer, que vous le vouliez ou non, dans la seconde.
En effet, ce roman nous place devant nos responsabilités, nous tire de notre silence.
Car nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Parce que nous savons.
Oui, nous savons que plus de 16 000 migrants ont disparu en mer Méditerranée depuis 2013 en cherchant à atteindre l’Europe. « Comment les siècles futurs jugeront-ils notre temps ? » accuse la voix du gêneur qui poursuit sa route : « Je vais disparaître. Je vous avais promis de n’être que la voix. Rien d’autre. Tout le reste est humain et vous concerne. Ce n’est pas mon affaire. »
En effet, c’est devenu la mienne, cela deviendra la vôtre, inévitablement.
Vous verrez, ce n’est pas facile de marcher longtemps avec un caillou dans la chaussure, si petit soit-il, si patient ou si occupé soit-on. On a beau vouloir l’oublier, il nous rappelle toujours à l’ordre. Discrètement mais sûrement.
C’est le fait des livres forts : ils vous condamnent à « une éternelle lucidité ».
Je ne sais pas si je dois vous remercier Monsieur Claudel. Si le bonheur réside dans l’oubli, je peux dire que votre livre ne m’a pas rendue heureuse.
Non, il m’a ouvert définitivement les yeux que je faisais en sorte de ne garder qu’ entrouverts et il m’a forcée à rester éveillée.
Depuis, je boite, j’ai mal à ma conscience.
Je vais devoir enlever ma chaussure et balancer le caillou.
Je ne sais pas quelle forme cela va prendre mais en recommandant ce livre, je sais déjà que je suis sur la bonne voie.

Retrouvez Lucia-lillas sur son blog 

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Un conte noir.

« Le chien regarda sa maîtresse, lança encore un petit cri, puis renifla ce que la mer venait de rejeter : trois corps d’hommes noirs, simplement vêtus de teeshirts et de pantalons de jean, les pieds nus, qui paraissaient dormir, le visage contre la grève. »
C’est par cette scène devenue malheureusement presque banale malgré l’horreur et l’incrédulité qui s’en dégage que débute le nouveau roman de Philippe Claudel.

Nous sommes sur une île qui pourrait être en Méditerranée et nous fait forcément penser à Lempedusa.
Après cette découverte macabre, le maire et ses administrés se trouvent confronté à un grave problème : Que faire des corps ? Les déclarer aux autorités ne va-t-il pas nuire à la tranquilité de l’île ? D’autant plus que le village est en attente de subventions pour la construction de thermes qui devraient attirer de nombreux touristes.

Le principal intérêt de ce superbe roman est à mon sens la réaction de chaque individu face à sa conscience.
Certains peu scrupuleux sont favorables à la dissimulation des corps, d’autres essaient de faire preuve d’humanité.
Nous découvrons le maire qui ne pense qu’à son intérêt, le commissaire qui avoue n’aimer personne à part son métier.
Le curé quant à lui est davantage préoccupé par ses essaims d’abeilles que par le salut des âmes dont il a la charge.

C’est une galerie de salauds ordinaires qui nous oblige à réfléchir à notre propre réaction face aux évènements extraordinaires auxquels la vie nous confronte parfois. Sommes-nous toujours à la hauteur ? Jusqu’où sommes-nous prêt à aller par intérêt, par peur, par lâcheté ? Ou par courage ?

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