Que faire lorsque l’on est coincé à Vilnius ? Se promener, visiter et les pas de l’auteur le conduisent au 18 de la rue Jono Basanaviciaus, là où vécut plusieurs années l’écrivain Romain Gary. Le voici récitant machinalement une phrase « Au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny ». A-t-il vraiment existé ? Quelle était sa vie, qui était-il ? Etait-il vraiment le voisin du petit Roman Kacew ? Et voici que le cerveau du romancier bouillonne. Qui est ce Monsieur Piekielny ?
François-Henri Désérable va errer le nez en l’air et chercher à donner vie à Monsieur Piekielny. Il fait cela très sérieusement, allant même jusqu’à compulser les archives locales. Au fil de ses pérégrinations aussi bien piétonnes que mentales, il lui invente mille épisodes de sa présumée vie. « Le père du petit Romain était fourreur, et nous ne sommes pas assez romanesques. Piekielny devait dont être barbier. »
Par la même occasion, il se repasse la vie de Roman Kacew, alias Romain Gary et me permet de découvrir avec grand plaisir la vie de cet immense auteur, moi qui n’aime pas les biographies.
J’ai aimé cette valse entre le réel et la fiction. Il y a des moments drôles, farfelus, comme la description des amoures du sieur Piekielny. François-Henri Désérable m’emmène derrière le rideau de la création littéraire. Le départ d’un roman peut être une adresse, un nom, une phrase qui revient en mémoire. Dans le roman, à partir de faits réels, l’auteur peut nous embarquer sur son navire et alors là ! Le plaisir n’est pas loin. Avec ce M. Piekielny, mine de rien, l’auteur brosse, outre le portrait de Romain Gary, celui de la Lituanie, l’architecture postsoviétique comme le bâtiment des Archives « gros bâtiment assez laid, le corbusien, purement fonctionnel et postsoviétique érigé au milieu de nulle part, là où jadis se trouvait une forêt que l’on avait rasée au bulldozer ». Les tombes juives ont eu un sort qui nous parait dur, mais la réutilisation des vieilles pierres est aussi ancienne que le monde ou presque. « Le vieux cimetière juif rasé à coups de faucille et de marteau. Qu’on se rassure : les pierres tombales ont été réemployées pour le pavage des rues ».
Un livre léger mais pas que. J’aime sa façon d’écrire des biographies, de faire des rapprochements entre la mère de Romain Gary et sa propre mère. J’aime sa façon de parler de cet auteur aux multiples facettes. François-Henri Désérable en profite pour parler des affres de la création littéraire « Il pleuvait ; la vigne vierge se parait de couleurs, ses feuilles passaient du vert à l’orange, puis au rouge ; les miennes invariablement restaient blanches. »
Evariste m’avait enchanté, Un certain M. Piekielny a assuré.
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Comment faire lorsque l’on prévoit d’écrire une biographie sur une personne qui n’existe peut-être pas ?
En effet, tel est le problème qu’a rencontré François-Henri Désérable qui, de passage à Vilnius, en Lituanie, rue Jono Basanavičiaus, tombe par hasard sur la plaque suivante : « L’écrivain et diplomate français ROMAIN GARY (Vilnius, 1914 – Paris, 1980) a vécu de 1917 à 1923 dans cette maison qu’il évoque dans son roman « La promesse de l’aube ». Vous souvenez-vous d’un personnage nommé M. Piekielny dans ce même livre ? (J’avoue ne pas pouvoir témoigner à ce sujet car je N’AI PAS LU La promesse de l’aube et ce malgré les « harcèlements » quasi quotidiens dont je suis l’infortunée victime… Mon « bourreau » ? (en inclusive, on dit comment ?) Ma collègue de boulot et néanmoins amie – une inconditionnelle de Gary – qui me coince régulièrement et m’interroge sur un ton accusateur : alors, t’en es où de La promesse de l’aube ? Oui oui, reconnais-toi chère D……, dont les agissements sont dorénavant connus sur la place publique.
Alors NON, je n’ai pas lu ce livre et voilà ti pas que le gars Désérable s’amuse à jouer les D……. présentant l’oeuvre comme essentielle, pour ne pas dire vitale, lui qui l’a lue cent mille fois dans tous les lieux et dans toutes les positions. THE perfection. Est-ce un complot ? Je vais finir par le croire et par ne jamais lire ce texte !
Donc, paraît-il que dans ce roman autobiographique et INCONTOURNABLE, je l’ai bien compris, il est question, l’espace de deux trois pages dans le chapitre VII, d’un voisin de palier de la famille Gary (mère et fils) qui a fait promettre audit Gary enfant de dire, plus tard, lorsqu’il serait adulte, aux grands de ce monde (car dans l’esprit de la mère, il ne faisait aucun doute que son génialissime fils adoré fréquenterait les grands de ce monde), de leur dire donc qu’« au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny. »
Et notre F-H Désérable de se demander qui était ce fameux Piekielny et de se lancer dans une enquête serrée pour savoir ce qu’il a fait de ses derniers jours avant que l’Histoire avec sa grande hache ne s’abatte violemment sur lui et sur tant d’autres.
Et l’enquête commence avec des allers-retours à Vilnius, des recherches incessantes sur Internet, des lectures attentives et minutieuses d’archives, de journaux, de romans, de nombreux visionnements d’émissions, des observations à la loupe de photos et moult discussions avec ceux qui ont connu Gary.
Rien.
Absolument RIEN sur « la souris triste », ce petit homme juif si discret.
Rien du tout.
Il n’est nulle part, sur aucun registre.
Aucune trace.
« Jour après jour j’ajournais l’écriture de ce livre, mon enquête patinait, piétinait, elle était au point mort et Piekielny introuvable. »
Bon, c’est bien gentil tout ça mais alors, allez-vous me dire, de quoi parle un livre de 259 pages dont le personnage principal, enfin celui sur lequel on mène l’enquête, est introuvable, ne serait-ce que sous la forme d’un nom qui traînerait sur Google ou ailleurs ?
Alors là, mes amis, croyez-moi, ce n’est pas un problème car notre Désérable a un tas de choses à raconter, des tonnes de digressions, d’apartés, d’anecdotes que l’on croit à côté mais qui sont en réalité au coeur du sujet : sur son bac, sa mère, ses études de droit, son hockey sur glace et sur Gary, un homme qui visiblement le fascine, et là, pour tout vous dire, je me suis RÉGALÉE. Car, disons-le, il a tout pour lui, cet auteur-là (Désérable, Gary, je ne l’ai pas lu, je vous le rappelle) : il est drôle, très drôle, bourré de talent (quelle écriture magnifique!), hyper cultivé. Il te manie la langue comme un vrai dieu, jonglant avec les subjonctifs comme s’il était tombé dedans petit et toi, toi lecteur, je te jure, tu bois DU PETIT LAIT et t’en redemandes !!! Il pourrait me raconter n’importe quoi l’animal, je suis scotchée, j’adhère, je me marre. Il me manipule, je tombe dans tous ses panneaux car je suppose, comme Gary, qu’il a dû m’en raconter des craques, des bobards, des vertes et des pas mûres. Tant pis, je suis dans le grand huit Désérable, lancée dans quelque chose que je ne contrôle pas. Il s’en amuse : tiens, nous dit-il, j’ai lu plein de choses sur la soirée de Gary chez Lipkowski après son Goncourt, je sais tout dans les moindres détails et nous, on bave, on attend et lui de balancer : «… je pourrais vous y emmener, à ce dîner, mais bon, ces soirées m’ont toujours un peu ennuyé et je suis déjà dans mon lit. » Envie de se ruer sur lui et de l’obliger à écrire sous la torture…
Il te balade, lecteur, pour ton immense plaisir. Il joue de la littérature comme Piekielny jouait (peut-être) du violon. Évidemment, il sait très bien où il va et toi, tu ne vois que du feu. T’as l’impression qu’après son triple salto arrière, il va se vautrer ferme. Il n’en est rien, il retombe parfaitement sur ses pieds. Et c’est grandiose, plein de beauté. Bref, c’est mon premier Désérable et comme vous l’aurez compris, j’ai plus qu’adoré et ce parce qu’au fond, son propos sur les pouvoirs de la littérature m’a beaucoup touchée.
J’ai eu le sentiment que chez lui lire et écrire, ce n’était pas de la rigolade mais une chose sérieuse qui a à voir avec la vie et la mort, une chose un peu magique qui ferait qu’on existerait ou pas, qu’on aurait vécu certaines choses ou pas, qu’on serait mort ou pas.
C’est elle qui décide, qui a le dernier mot, celle qui est capable de « tenir le monde en vingt-six lettres et le faire ployer sous sa loi. »
La littérature vous a rendu immortel, Monsieur Piekielny. Votre vœu est exaucé et nous penserons souvent à vous, même les jours où nous ne passerons pas par le 16 de la rue Grande-Pohulanka…
Pour avoir suivi F.H.Deserable depuis ses débuts en littérature , en avoir apprécié l’humour , l’impertinence et une certaine désinvolture (la vie revue et corrigée d’Evariste Gallois , le mathématicien vaut le détour!) je me doutais, j’en avais l’espoir, que celui ci serait de la même veine: je ne suis pas déçue .
Et c’est le sourire aux lèvres que j’ai apprécié cette lecture.
Je crois en la grande culture de ce jeune homme, et même s’il n’était qu’un imposteur, après tout ce n’est que de la littérature, et même dans ce cas ce n’est qu’un roman.
Admettons que F.H.D soit fasciné par Romain Gary, qu’il ait voulu faire vivre un personnage fictif, en y mélangeant et la vie de Gary et la sienne propre, voilà une belle manière d’aborder une partie de l’Histoire de la Lituanie. Pas facile d’ être juif dans un pays coincé au XX siècle entre les Allemands, les Russes qui ne pensent qu’à vous détruire.
Voyager sur les traces de Gary , enfant, expliquer comment s’est construit cet homme tant admiré par sa mère , avec un œil sur une fenêtre à Vilnius où aurait bien pu vivre (s’il existait) un certain M.Piekielny, quelle belle entreprise qui fera de nouveau le bonheur des libraires, et c’est tant mieux : »la promesse de l’aube » a encore de beaux jours devant elle .
Bien sur, les mots d’esprit fusent, parfois en clin d’ oeil à la littérature , pour le plaisir d’un bon mot , souvent avec finesse mais aussi avec un esprit potache un peu lourd parfois ; péché de jeunesse.
Mais ce livre est avant tout un hommage à la littérature « l’irruption de la fiction dans le réel » ; « Cette scène est vraie puisque je l’ai inventée ! »
Bref un bon moment , en attendant le prochain dans 2 ans donc !