Quel lecteur êtes-vous Douglas Kennedy
« Au début, je voulais devenir cinéaste »
Contrairement aux autres romanciers, Douglas Kennedy n’a compris qu’assez tard qu’il voulait faire de l’écriture son métier. En revanche, grand lecteur il fut, grand lecteur il reste. A l’occasion de la parution de « Cinq jours », l’histoire d’un mauvais mariage (sa marotte) et d’une brève rencontre, il nous parle de ses lectures passées et présentes.
Quels sont vos premiers souvenirs de lecture ?
Lorsque j’avais huit ans -c’est un épisode que j’ai raconté dans « Cet instant-là »- nous habitions un appartement pas très grand à New York, et mes parents étaient en train de se disputer, comme d’habitude. J’en ai eu assez et j’ai demandé de pouvoir aller à la bibliothèque. Mon père m’a donné un dollar. Pour la première fois, je me retrouvais seul dans la rue. J’ai commencé à observer ce qui se passait autour de moi, le vendeur de journaux, la police, un prêtre qui fumait devant son église. Je me souviens de tout. Puis je suis arrivé à la bibliothèque, la bibliothécaire m’a conseillé un livre, j’ai acheté un coca à la caféteria et je me suis mis à lire. Hier soir, je me trouvais sur la terrasse d’un café avec un cigare, un calva et un livre. Ce n’est pas si différent!
Vous souvenez-vous de quel livre il s’agissait ?
Une série de romans absolument stupides, « Les frères Hardy » de Franklin W. Dixon, deux jeunes détectives avec un chien. Mais mon premier vrai souvenir de lecture, c’est « L’attrape-cœur » de JD Salinger, que m’a mère m’a offert quand j’avais 13 ans.
Y avait-il beaucoup de livres chez vous ?
Il y avait des livres, même si mes parents n’étaient pas de grands lecteurs. Et il y avait beaucoup de musique classique. Mais surtout, j’ai grandi à Manhattan, quel cadeau. A 10 ans, ma vie a changé après que l’école nous ait emmené assister à un concert destiné aux enfants et dirigé par Leonard Bernstein. Il a analysé le premier mouvement de la 5ème symphonie de Beethoven, en a expliqué la structure. Une expérience extraordinaire.
La lecture et la musique ont-elles occupé la même place ?
Non, mais le cinéma, oui.
Pour en revenir à JD Salinger, qu’avez-vous éprouvé en le lisant ?
Ma fille et moi en avons discuté il y a peu de temps. Elle a adoré ce livre et m’a dit, « je pense à toi tout le temps, parce que tu ressembles à Holden Caulfield: tu es né à Manhattan comme lui, et tu es un peu cynique, comme lui! Quand je l’ai lu pour la première fois, j’avais l’impression que ce roman reflètait ma vie. Lorsqu’on lit, on n’est plus seul. Et c’est ce que j’ai découvert avec ce livre. Je vivais dans une famille difficile (mais la plupart des écrivains ont eu des enfances compliquées), et je n’étais pas très sportif. La lecture constituait un échappatoire, et me permettait aussi de voyager.
Quelles furent vos autres découvertes ?
J’étais dans un lycée assez intellectuel. J’ai étudié les pièces de Tchekhov, puis à 15 ans « Le portrait d’un artiste » de James Joyce, et « Portrait d’une femme » de Henry James. Ensuite, on a commencé à lire Shakespeare. Plus tard, à l’Université, j’ai découvert le nouveau roman avec « La modification » de Michel Butor. J’avais et j’ai encore un goût très éclectique. Je viens de terminer par exemple un livre de Paula Fox. Il n’y a pas de vrai récit, mais ses dialogues sont excellents. C’est passionnnant de tomber sur un écrivain comme ça. Je suis toujours obsédé par le style, par le mouvement de la narration, parce que c’est mon métier. Je continue à lire pour découvrir. Un roman c’est un monde, dans lequel on va essayer de voyager ou pas. Amazon vous propose un chapitre gratuit sur Kindel, mais c’est terrible. Comment savoir en un seul chapitre si vous avez envie de continuer.
Quand avez-vous su que vous vouliez devenir écrivain ?
Au début, je voulais devenir cinéaste. J’étais talentueux, mais pas très talentueux. Puis, j’ai essayé d’écrire une nouvelle pour la revue de l’université. Le rédacteur en chef m’a dit: « vous n’avez aucun talent ». Toutes les carrières ont des histoires comme ça. La vocation est venue tard. Ce n’était pas un rêve d’enfant. J’ai commencé à écrire, la nuit, vers 22 ans, sans savoir si je voulais faire ça. J’ai essayé tous les genres: pièces pour la radio, récits de voyage, plus tard reportages, romans.
On a parlé de vos lectures de jeunesse. Quels furent vos grands chocs de lectures d’adulte ?
Richard Yates. Aujourd’hui, presque personne ne se souvient de lui. Mais lorsque j’ai lu « La fenêtre panoramique », j’ai été bouleversé. Il racontait l’histoire de mes parents à quelques détails près. Le récit se passe dans la banlieue de New York, après la guerre. Elle tombe enceinte, elle est femme au foyer, lui a un boulot pas très intéressant, dans une entreprise. Et le mariage tourne à l’horreur. J’ai grandi au milieu de ça, et lorsque j’ai découvert ce roman, j’ai éprouvé un des plus grands chocs de ma vie. Personnel et littéraire.
Vous a-t-il aidé à comprendre vos parents ?
Oui, un roman peut fonctionner comme un miroir. Lorsque j’ai lu cette « Fenêtre panoramique », j’ai pensé « oh mon dieu ». Il connaît mon enfance, mon adolescence, il a entendu les disputes de ces deux personnes qui sont en colère l’une contre l’autre, parce qu’ils ont créé ce piège dans lequel ils sont enfermés. Pourquoi construit-on son propre piège? C’est un thème que l’on retrouve dans plusieurs de mes livres.
Poursuivons dans vos coups de cœur littéraires…
Je me souviens aussi de la première fois où j’ai lu « Gatsby le Magnifique » de Fitzgerald, qui représente pour moi la perfection. Il y a une exactitude dans l’écriture extraordinaire. La tristesse américaine, et le rapport avec l’argent sont bien vus. Ensuite, « L’adieu aux armes » reste mon roman préféré de Hemingway. Une vraie tragédie. Il a changé le roman américain. C’est à la fois si simple et si dense. Et c’est un Américain ailleurs, en dehors de son pays, en dehors de ses racines. C’est devenu ma vie. Il m’a encouragé à vivre ça.
Lisez-vous toujours beaucoup ?
Tous les jours. Là, j’ai le livre d’un écrivain allemand dans mon sac, Peter Schneider. Je lis deux ou trois ouvrages par semaine. Je viens de terminer une biographie de Tennesse Williams, et celle de Bach par Jean Elliott Gardiner. Je vais commencer le nouveau Donna Tartt, parce que ma fille l’adore.
Vos lectures ne court-circuitent-elles pas ce que vous écrivez ?
Pas du tout. Je lis et j’écoute de la musique tout le temps. Je me souviens d’une nouvelle de Philip Roth, « Un homme », que j’ai lue il y a sept ans. C’est l’histoire d’un homme mort à 72 ans, qui a connu beaucoup de problèmes avec les femmes, un divorce horrible. C’est très court, mais incroyablement bien traité. Pour moi, ce n’est pas paralysant, mais stimulant.
Lisez-vous de également de la littérature française ?
J’ai lu, l’an dernier, « Ravel » de Jean Echenoz. Un petit chef d’œuvre raffiné, intelligent. J’ai apprécié la précision de l’écriture, mais aussi l’humanité qui s’en dégage. J’ai enchaîné avec « Au piano » du même Echenoz, un livre un peu métaphysique, impressionnnant. Je ne suis pas jaloux. Et si je le suis, c’est une jalousie positive, qui me donne envie de m’améliorer. Je me trouve au milieu d’une carrière, chaque roman reste un défi. Il y a toujours un après, c’est difficile. Mais c’est ça le monde créatif.
L’ORDONNANCE DU DOCTEUR KENNEDY
« Gatsby le Magnifique » de Francis Scott Fitzgerald
« L’Adieu aux armes » de Ernest Hemingway
« La fin d’une liaison » de Graham Greene
« Madame Bovary » de Gustave Flaubert
« La montagne magique » de Thomas Mann
COMMENT LISEZ-VOUS ?
Marque-pages ou pages cornées ?
J’ai toujours un marque-pages. Je ne corne pas mes livres, pas plus que je n’écris dedans.
Lisez-vous debout, assis ou couché ?
Les trois. Ça dépend des moments. Si je suis seul, je lis au lit. Tous les soirs, une demi-heure avant de m’endormir. Quelle que soit l’heure.
Jamais sans mon livre ?
Tout à fait. C’est inconcevable de voyager sans un livre. J’ai aussi des magazines, des revues littéraires. Je lis deux ou trois journaux par jour.
Un ou plusieurs à la fois?
Un seul.
Bruit ou silence ?
Je peux écrire quand il y a du bruit. Et lire aussi. C’est même un échappatoire, comme ça je n’entends plus rien. L’autre jour, je me trouvais dans un embouteillage, à Montréal. Il a duré vingt minutes. Tout le monde s’est mis à klaxonner. Moi, j’ai sorti mon ordinateur et j’ai écrit!
Combien de pages avant d’abandonner ?
Ça dépend. C’est rare que j’abandonne un livre, mais si je le fais, ce n’est pas avant 30 ou 40 pages…
Propos recueillis par Pascale Frey
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