Rencontre avec Duong Thu Huong
. Elle est arrivée en France en 2006, fuyant un régime qu’elle combattait et continue à combattre depuis Paris. Elle envoie des essais, sous le manteau, au Vietnam. Mais nous connaissons bien davantage la merveilleuse romancière, auteur de « Terre des oublis » ou de « Sanctuaire du cœur ». Son nouveau livre, « Les collines d’eucalyptus », est un petit joyau. Il retrace la longue errance d’un jeune homme qui s’enfuit de chez lui, car il n’ose avouer son homosexualité à sa famille. Mais Huong raconte aussi de manière très évocatrice ce Vietnam où elle a vécu soixante ans et qu’elle a dû quitter pour des raisons politiques. Un roman qu’on a peine à lâcher et tant mieux, car autant vous prévenir d’emblée qu’il est gros, très gros (780 pages)!
A l’origine de votre roman, il y a une histoire vraie. Est-elle arrivée dans votre famille? A un couple de cousins. En 1987, leur fils de 16 ans a disparu brutalement. A l’époque, j’étais encore la fille bien-aimée du parti, je connaissais des policiers, des politiciens et ils m’ont demandé de les aider à retrouver leur fils. Je n’ai pas réussi. Vous dites, « à l’époque j’étais la fille bien-aimée du parti ». Qu’est-ce qui a changé? En 1989, j’ai commencé à me révolter contre le régime. L’année suivante, ils ont brûlé tous les films que j’avais faits, en tant que scénariste ou comme réalisatrice. Jusqu’alors, j’avais été un bon petit soldat, luttant contre les Américains puis les envahisseurs chinois. Mais je me suis mise à écrire des articles contre le parti, contre ce régime que je hais et qui a causé la mort de nombreux de mes amis. J’étais surveillée 24 heures sur 24, et mon passeport m’a été confisqué. En 1995, ils m’ont arrêtée et emprisonnée pendant huit mois. J’ai été finalement libérée grâce à un comité de soutien français, présidé par Danielle Mitterrand. En 2005, j’ai remporté un prix littéraire italien, ce qui m’a permis de me rendre à Turin, puis je suis passée par Paris, où j’ai rencontré ma future éditrice, Sabine Wespieser. J’avais plusieurs propositions, mais comme elle est née la même année que ma sœur cadette que j’adore, j’ai pensé que c’était un bon présage ! L’année suivante, j’ai décidé de m’exiler en France. L’histoire que vous publiez aujourd’hui, vous l’avez déjà racontée sous une autre forme dans « Sanctuaire du cœur ». Saviez-vous dès le départ que ce serait un diptyque? Oui. Il y a une même racine aux deux livres effectivement, mais dans le premier, la raison pour laquelle le jeune homme s’enfuit est qu’il est amoureux de sa sœur. Et il devient un gigolo pour vivre. Dans celui-ci, il disparaît pour ne pas avouer son homosexualité à ses parents. Mais je ne sais pas et ne saurai probablement jamais si l’une de ces deux hypothèses est la bonne. Vos livres paraissent-ils au Vietnam? Ils ne paraissent plus. J’écris depuis 1981. « Itinéraire d’un enfant » et « Au-delà des illusions » ont été des best-sellers là-bas. Mais à partir du moment où j’ai été arrêtée, mes romans ont disparu des librairies, il est devenu dangereux de me fréquenter, donc j’ai perdu mes amis aussi. Je me suis peu à peu repliée sur moi-même, avec des petits groupes pour lutter contre ce régime policier et staliniste. Si je retournais dans mon pays, je me ferais immédiatement arrêter. Et mes enfants, qui ont 43 et 41 ans et vivent là-bas, n’ont pas le droit de travailler. J’ai cinq petits-enfants, mais je ne connais pas le dernier. Comment arrivez-vous à écrire un roman de 700 pages chaque année ou presque?! Je travaille toujours la nuit, et je dors le jour. J’ai essayé d’écrire plus court, mais je n’y arrive pas. Et pourtant, il m’arrive d’effacer d’un coup deux cents pages parce qu’elle ne me plaisent pas et que je n’aime pas ravauder! Mais tant, pis, je ne peux pas changer pour faire plaisir aux gens. Et même si la littérature est importante, elle passe, pour moi, au deuxième plan. Ma vie, c’est la lutte. Une lutte que je poursuivrai inlassablement jusqu’à ce que le régime soit renversé. |
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