rencontre avec Helen Macdonald
en partenariat avec Fleuve éditions
« Mabel m’a appris
comment réconcilier la mort avec la vie et l’amour »
Avec M pour Mabel, Helen Macdonald signe un récit captivant d’une grande originalité. Il y est question de fauconnerie et de dressage, mais aussi de perte et de deuil. Rencontre avec une femme inattendue.
A quand remonte votre première rencontre avec un faucon ?
Je n’arrive pas à m’en souvenir, ce qui est bizarre. La plupart de mes amis fauconniers peuvent retrouver la trace de leur fascination pour les oiseaux de proie, née d’une scène marquante: une crécerelle planant sur leur voiture, ses ailes déployées cachant le soleil; ou un faucon observant puis attrapant un épervier au fond du jardin. Des images puissantes, belles ou effrayantes qui les ont captivés et poussé à en savoir plus sur ces oiseaux. Mais, en ce qui me concerne, c’est comme s’ils avaient toujours été là.
Comment expliquez-vous cette passion ?
Je nourris cette obsession pour ces animaux depuis que je suis enfant. Tous mes amis avaient des photos de pop stars sur les murs de leur chambre, mais moi j’affichais des images de rapaces. Ils étaient les choses les plus parfaites que le monde n’avait jamais produites. Et pour être honnête, je le pense toujours aujourd’hui. Lorsque, plus tard, j’ai découvert que dans la tradition culturelle remontant à des milliers d’années, les rapaces étaient considérés comme une manifestation des âmes de personnes disparues, j’ai pensé que, peut-être, la mort de mon frère jumeau à la naissance expliquait ma fascination. Ces vieilles légendes sont profondément ancrées en nous, même si nous n’en sommes pas conscients. Mon intérêt a évolué au fil des années. La conscience presque religieuse que je ressens dans leur présence augmente au fur et à mesure que je les connais mieux.
Comment avez-vous appris à dresser un faucon ?
Lorsque j’étais jeune, j’ai lu tous les livres que je pouvais trouver sur la fauconnerie, donc je savais très bien comment les dresser, en théorie. Mais la seule manière d’apprendre la fauconnerie, est de le faire avec un autre fauconnier. J’ai passé de nombreux week-end, à l’école, à travailler dans un centre de fauconnerie. J’ai franchi les différentes étapes, du nettoyage des volières et de la préparation de la nourriture, à celle où je pouvais pouvoir tenir un faucon. Et enfin, ils m’ont donné mon premier faucon à dresser, une crécerelle que quelqu’un avait enlevée illégalement de son nid et enfermée dans une petite cage à perroquet. Regarder son premier vol, la voir apprendre comment utiliser le vent, monter en flèche, planer et se réjouir de l’air sur son corps, ce fut une magnifique expérience, très émouvante aussi. En tant que fauconnier, vous apprenez comment vous adapter aux humeurs de votre faucon, à écouter attentivement ce qu’ils essayent de vous dire. Car le professeur le plus important que vous ayez au fond, c’est l’oiseau lui-même.
Est-ce que le dressage d’un faucon est très différent de celui d’un autre animal sauvage ?
Les méthodes utilisées pour dresser des faucons sont très anciennes. La fauconnerie remonte à 4000 ans avant Jésus Christ. Mais, de tous temps, ces oiseaux n’ont jamais été domestiqués. Chaque faucon est, à la base, effrayé par son dresseur. Vous devez patiemment, prudemment gagner leur confiance en leur faisant cadeau de viande dans le gant de votre main gauche. Un acte positif plutôt qu’une punition, voilà la bonne manière de gagner la confiance de n’importe quelle créature, sauvage ou pas. D’abord, le faucon saute sur vous pour saisir la nourriture, ensuite il vole vers vous lorsque vous l’appelez. Enfin, une fois que l’oiseau a appris à se déplacer librement, il comprend que vous l’aidez dans son entreprise de chasse et vous devenez tous deux des sortes de partenaires. C’est une relation très personnelle, particulièrement avec les autours. En dépit du fait qu’ils sont des oiseaux solitaires, ils développent de forts liens avec leurs maîtres, qui peuvent même devenir affectueux. Mabel s’amusait souvent avec mes cheveux lorsque nous étions assises, le soir, devant la télévision.
Qu’est-ce qu’un autour a de si particuilier ?
Les autours sont souvent considérés comme des créatures qui ressembleraient à des criminels à plumes: des meurtriers efficaces, sans remords, psychopathes. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai été attirée par eux! Ils ont la réputation, en fauconnerie, de se montrer extrêmement nerveux et difficiles à dresser. Je savais donc que le dressage réussirait à me distraire de mon deuil. Mais ce qui s’est passé avec Mabel était inattendu. J’ai passé tellement de temps avec elle que j’ai commencé à imaginer la manière dont je verrais le monde à travers ses yeux. Cela me montrait une nouvelle réalité, qui était belle, compliquée, et complètent libérée des émotions humaines. C’était une sorte de refuge. Cela m’a fait oublier qui j’étais. Je pense que Mabel fut une partie du processus que nous devons tous traverser après la perte de gens que l’on aime. Mabel m’a donné de nombreuses leçons sur la vie et la nature. Elle m’a enseigné, dans la mesure du possible, comment réconcilier la mort avec la vie et l’amour.
Quel est le souvenir le plus inattendu que vous avez partagé avec Mabel ?
Le deuil a agi de manière étrange en rendant mes souvenirs aussi clairs que du cristal. Cette saison avec mon autour reste très vive dans mon esprit. Ce ne sont pas les moments dramatiques qui me viennent d’abord à l’esprit quand je pense à Mabel. Ce sont au contraire ces instants de calme inattendu au milieu d’un après-midi plein d’adrénaline, au cœur des collines anglaises. Je ne peux pas me souvenir ce que j’ai fait la semaine dernière, mais je me rappelle exactement à quoi ça ressemblait d’être assise avec Mabel, à l’abri sous un arbre, en attendant que la pluie s’arrête, regardant son plumage s’assombrir sous l’effet de l’eau. Le souvenir est si fort que, même maintenant, je sens encore les gouttes de pluie sur ma tête.
Est-ce qu’écrire était un vieux désir ou les circonstances vous ont encouragée à le faire ?
J’ai toujours voulu écrire. J’ai d’abord été poète. Puis historienne en sciences. Mais me lancer dans la fiction est définitivement lié à la mort de mon père et à l’arrivée de l’autour dans ma vie. A la fin de cette première année avec Mabel, j’ai commencé à réaliser que ce qui s’était passé était bien davantage qu’une simple histoire sur une femme misérable et un oiseau. C’était une histoire bien plus ancienne, bien plus importante, sur la manière dont nous réagissons à la perte. Je savais que c’était une histoire que j’aimerais écrire un jour, mais cela m’a pris cinq ans pour mettre suffisamment de distance émotionnelle et commencer à écrire sur tout ça.
Qu’est devenue Mabel aujourd’hui ?
Hélas, ma pauvre Mabel est morte en 2013, très soudainement, d’une horrible maladie appelée “aspergillosis”, qui est une sorte de mycose. Ce fut un événement soudain et elle me manque terriblement. Je pense que mon livre est une manière de penser à elle, de lui dire au revoir et de la remercier, de la même manière que ce livre m’a permis de remercier et de dire au revoir à mon père.
Lire notre chronique sur M pour Mabel