Les lecteurs de Nancy Huston ne seront pas surpris de découvrir « Bad girl ». Pas surpris, mais impressionnés par la manière avec laquelle elle s’est emparée du sujet, c’est-à-dire sa vie (ou plutôt ses origines), pour la transformer en un récit qui s’élève bien au-dessus d’une simple autobiographie. Quant à ceux qui ne connaissent pas ou mal Nancy Huston, ils seront certainement curieux, après cette lecture, d’aller se promener dans son œuvre pour voir de quelle manière, tout au long de ses merveilleux livres, elle a su transformer des fragments personnels en matériau romanesque.
« Bad girl » n’est pas écrit à la première personne, mais à la deuxième. Il s’adresse à l’embryon qu’elle fut et qu’elle surnomme « Dorrit ». A ce stade de sa vie, Dorrit peut choisir de naître ou de ne pas naître. La narratrice lui fournit tous les éléments pour qu’elle puisse décider en pleine conscience. On savait depuis longtemps, grâce à ses romans et aux interviews qu’elle a donnés, que Nancy ainsi que ses frères et sœurs avaient été élevés par leur père, la mère ayant déserté le foyer. Ce qu’elle nous révèle aujourd’hui, et qu’elle a dû probablement se révéler à elle-même il n’y a pas si longtemps, c’est que les choses ne sont pas toujours aussi simples. Leur père ne fut pas une victime, au contraire, et leur mère est partie, car elle n’avait pas le choix. Elle a passé le reste de sa vie à en souffrir, peut-être à le regretter. Mais cette mère, apparemment indigne, lui a laissé en héritage la passion de la musique, qui l’a conduite à la littérature. « Après vingt ans à l’école de Bach-Mozart-Beethoven-Schubert-Chopin, tu seras mûre pour écrire ton premier roman », lance-t-elle à Dorrit. Le piano lui donnera non seulement le goût du travail, mais lui apprendra à exprimer ses émotions à travers d’autres. Et aussi: « parce que ta propre histoire criait famine, les histoires des autres doivent se déverser en toi sans arrêt, te nourrir à chaque instant. » Au fil de ces pages, Nancy Huston redécouvre son enfance, ou plutôt l’envisage sous un autre angle. Le lien qui ne s’est jamais totalement rompu avec sa mère est tissé des longues lettres que celle-ci lui envoie. La lecture, l’écriture, la boucle est bouclée et la petite Dorrit est maintenant prête à naître.