Je me raccroche à ce titre de Henri Guillemin qui est le dernier en date que me propose la liste de Onlalu. L’activité des éditions Utovie qui rééditent les oeuvres de Guillemin que ses éditeurs traditionnels laissaient en deshérence ne semble pas être connue et pourtant il serait justice de lui rendre hommage. On croyait Guillemin, après sa mort en 1989, expédié au purgatoire, ou mieux encore en enfer – ce qui aurait comblé d’aise tous ceux pour qui le travail de cet historien non-conformiste ne valait pas qu’on s’y arrête une minute. Polémiste, pamphlétaire, bourré de parti-pris et d’a priori, graphomane trop pressé pour toujours bien vérifier l’exactitude de ses citations – et surtout, surtout ! catho de gauche, ce qui passe pour une inconséquence majeure aux yeux de beaucoup de gens quand ce n’est pas le signe d’une naïveté difficilement pardonnable.
Et pourtant, voici que depuis quelques temps Henri Guillemin refait surface. Cela est dû au travail de l’Association Présence d’Henri Guillemin, à la possibilité de voir sur le net les étonnantes conférences que Guillemin a données à la télévision suisse-romande, à la télévision belge, à la télévision luxembourgeoise, à la télévision canadienne, (cherchez celle qui manque !) et qui sont un festival d’intelligence et d’aperçus dérangeants sur notre histoire littéraire et sur l’histoire tout court, au travail de réédition d’Utovie et à de jeunes historiens qui, loin des querelles de leurs anciens, découvrent en Guillemin un franc-tireur dont les intuitions précèdent souvent leurs propres travaux.
Pour nous en tenir aux 12 derniers mois. Deux colloques, l’un à Paris, en octobre 2013, l’autre à Mâcon en novembre 2014, portant sur Guillemin et Robespierre et sur Guillemin, historien et écrivain de la Révolution, où se sont retrouvés des gens aussi divers qu’Edwy Plenel, Etienne Chouart, Patrick Berthier, Florence Gauthier, Hervé Leuwers, Pierre Serna, Thibaut Poirot, pour ne citer qu’eux. La publication de conférences inédites à la RTB sur 1789/1792, 1792/1794 les deux révolutions françaises (Utovie), les Actes du colloque d’octobre 2013 (Utovie), l’Affaire Jésus (un des ouvrages de Guillemin les plus lus) augmenté d’un texte assez iconoclaste sur Marie (Utovie), enfin Jean-Jacques Rousseau ou « la méprise extraordinaire », articles publiés en 1936/37 et que Patrick Berthier a republiés avec une préface très stimulante. Et l’année 2015 s’annonce tout aussi riche.
Parlons de Silence aux pauvres. Ce texte est la contribution de Guillemin à la célébration du bicentenaire de la Révolution française. Et il s’éloigne fortement des vapeurs d’encens qui ont entouré cet événement, de l’unanimisme de façade qui interdit de regarder de plus près ce qui s’est effectivement passé. Guillemin ne s’y laisse pas prendre. Sa thèse est la suivante : il n’y a pas eu en 1789 de révolution mais un simple changement de personnel politique, les bourgeois ne supportant pas que les postes de responsabilités soient tenus par des aristocrates incompétents, alors qu’eux-mêmes se considéraient comme la seule classe productrice de richesses. L’ennui est que la bourgeoisie a eu besoin du peuple pour parvenir à ses fins et que celui-ci a réclamé pour lui les droits que lui faisaient miroiter les beaux mots de liberté et d’égalité . Ce dont il n’était évidemment pas question. La peur des classes populaires toujours soupçonnées de vouloir s’emparer des fruits de « l’honnête » exploitation dont elles sont victimes de la part des « gens de bien(s) » explique le déroulement de ce que l’on appelle « la révolution française ». Révolution, il y eut bien, mais c’est celle de la Convention, de 1792 à 1794, du Comité de Salut public, de Robespierre, Saint-Just et quelques autres et elle se termina par la réaction thermidorienne – ouf ! on l’avait échappé belle – désarmé le peuple, exécutés ceux qui avaient été ses avocats, rentrés dans leur niche ces chiens d’agitateurs – on pouvait désormais consolider les avantages que les propriétaires s’étaient octroyés et reprendre ses affaires comme si de rien n’était, avec l’aide d’un général, parce que rien ne vaut l’armée et quelques bonnes guerres pour remettre de l’ordre dans un pays où les gens de rien ont rêvé pendant deux ans qu’un autre monde était possible.
Voilà un aperçu du travail de Guillemin, on est loin des images d’Epinal qui encombrent encore trop souvent nos livres d’histoire, on est loin de l’histoire officielle. Mais quel vent frais qui vient nous réveiller de la torpeur dans laquelle on nous maintient !