critique de "L'Amérique des écrivains", dernier livre de Pauline Guéna et Guillaume BINET - onlalu
   
 
 
 
 

L'Amérique des écrivains
Pauline Guéna et Guillaume BINET

ROBERT LAFFONT
décembre 2009
339 p.  35 €
ebook sans DRM 22,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

« Parce qu’on aimait lire. »

« Ce qui me fait peur, ce sont les gens qui ouvrent un livre pour apprendre. D’après moi, on ouvre un livre pour être ému. Pour avoir devant soi quelqu’un, l’auteur, qui tient avec nous une conversation. « (Gilles Archambault)
Je savais que je voulais ce livre mais je ne savais pas à quel point j’allais en tomber amoureuse. Il est beau, d’abord. C’est un livre de très grande taille, lourd, épais, avec une typographie aérée, un jeu de polices d’écriture très esthétique et un rythme non cadencé de mises en pages des photos qui donne une vraie impression de liberté. On y participe, à ce road trip. Embarqués avec simplicité dans un voyage en famille, quatre enfants, leurs parents et un camping-car. L’idée est toute simple, un an pour aller à la rencontre des écrivains américains, chez eux. Quelques questions préparées, mais surtout une bonne connaissance de l’oeuvre de chacun et un contact qui s’établit (ou pas trop) et qui permet de partager autre chose, un moment sans promotion, sans enjeu. Une discussion. Je pensais le picorer, pour les auteurs que je n’ai pas encore lus idéalement après l’avoir fait, mais j’ai été entraînée dans cette spirale familière qui m’empêche absolument de reposer le livre, l’engloutissant en deux jours fiévreux et toujours avide de poursuivre la route, revenant consciencieusement à la carte pour visualiser le trajet, notant tel titre, relevant tel passage ou tout simplement rêvant les yeux grand ouverts. L’Amérique. Pour ma génération en tout cas ça évoque toujours quelque chose de *bigger than life*, comme une exclamation permanente. Les vingt-six auteurs rencontrés se livrent avec générosité – même si l’ego de certains semble battre des records – et c’est intéressant de la première à la dernière page. Une merveille !


« Ma ferme croyance est que le nationalisme est une forme de maladie mentale. » (Russel Banks)

« Richard Ford est connu pour détester les enfants. Il n’en a pas, n’en veut pas, n’aime pas les fréquenter. Nous avons prévu d’être particulièrement discrets et avons prévenu nos enfants. Mais au moment même où nous nous garons devant sa maison, Richard ouvre la porte pour nous accueillir, le bébé vomit dans son siège auto et tout part à vau-l’eau. Après un rétablissement périlleux, l’entretien commence. »
(Leur échange sera un petit peu tendu :))

« On ne peut pas répondre aux critiques. C’est impossible. C’est l’opinion de quelqu’un. On ne peut pas dire : « Votre opinion est pourrie ». Si les faits sont erronés, c’est une autre histoire. Ca arrive. Mais dans ce cas, répondre reviendrait quand même à expliquer votre propre livre, or ce n’est pas à vous de le faire. Le livre est pour les lecteurs et chacun en a une lecture différente. » (Margaret Atwood)

« Quel est l’aspect le plus central pour vous, dans la fiction ?
Le langage. On ne peut rien faire sans. Les dialogues. La narration. On lirait n’importe quoi si c’est vraiment bien raconté. Les personnages sont certainement centraux aussi. L’intrigue, ça vient après. On en a besoin, mais elle évolue. Et qu’y a-t-il d’autre ? E.M. Forster a écrit des choses merveilleuses là-dessus. Il disait : « Une histoire c’est : Le roi est mort, et puis la reine est morte. Une intrigue c’est : Le roi est mort, et puis la reine est morte de chagrin. » (William Kennedy)
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John Biguenet : « Au départ, je pensais que je serais peintre. Ma famille était terriblement pauvre, nous n’avions aucun livre à la maison, alors j’allais à la bibliothèque. Un été, j’avais dix ans, j’ai vu une affiche qui disait que si vous lisiez quarante livres et écriviez un rapport de lectures sur chacun, vous recevriez un marque-pages en cuir. J’ai donc lu quarante livres. Le rapport de lecture pouvait être un dessin ou un paragraphe. J’ai fait trente-neuf dessins et écrit un paragraphe pour le dernier livre que j’ai lu, une biographie de Paul Revere. Ensuite, il y avait un concours de la meilleure fiche de lecture. Mes parents ont reçu un coup de téléphone qui leur a appris que j’avais remporté le concours. J’ai pensé que c’était merveilleux, à présent tout le monde allait voir quel artiste talentueux j’étais. Mais il s’est avéré que j’avais gagné avec mon paragraphe. Je me suis senti tellement humilié que j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Dix ans… « Stupides adultes, ils n’ont rien compris s’ils préfèrent ce paragraphe débile à tous mes beaux dessins ! » Bon. Il y a eu un petit article dans le journal local, et quelqu’un a appelé mes parents pour savoir si j’accepterais de devenir leur critique de livres pour enfants. Ce que j’ai fait. Voilà comment j’ai commencé à écrire. Mes parents étaient fiers, mais moi je n’étais pas très impressionné. Au lycée, j’étais capitaine de l’équipe de basket et c’est tout ce qui m’intéressait : les filles et le sport. Un jour je m’ennuyais tant en classe que j’ai écrit un poème. Le professeur a cru que c’était un petit mot pour un autre élève, alors il m’a envoyé à l’administration pour je sois puni. Mais là, ils ont lu mon poème, ont décidé de l’envoyer à un concours de poésie, et j’ai gagné. J’avais tellement honte que j’ai soudoyé le rédacteur en chef du journal du lycée, 10 dollars, pour qu’il ne mentionne pas que le capitaine de l’équipe de basket avait remporté un concours de poésie ! Néanmoins, c’est grâce à cela que j’ai reçu une bourse pour l’université. Pour gagner de l’argent, j’écrivais des critiques de films et Harper’s a choisi l’une de ces critiques dans sa sélection des meilleurs papiers critiques publiés aux Etats-Unis cette année. J’ai reçu 500 dollars que ma future femme et moi avons utilisés pour aller au Mexique. A mon retour, j’ai appris qu’on m’offrait une bourse pour un second cycle universitaire à cause de ça. Donc, d’une certaine façon, la vie n’a cessé de me diriger vers l’écriture. Jusqu’à ce que je cesse de résister. »

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coup de coeur

Road Trip littéraire et épatant

Un dimanche pluvieux, genre colle-cafard… Je m’installe avec ce gros volume sur les genoux, et je relève la tête, étonnée qu’il fasse nuit… trois heures plus tard. Cela avait l’air d’un livre de table basse, mais ce n’est assurément PAS un livre de table basse, c’est une mine, une somme, c’est passionnant. Sous titre : Road trip. Pauline Guéna, écrivain, et son compagnon Guillaume Binet, photographe, se sont lancés dans un voyage incroyable: leurs quatre jeunes enfants sous le bras, ils ont sillonné les Etats-Unis en camping-car à la rencontre de vingt-six écrivains américains majeurs. Juin 2013/ Juin 2014. « Parce qu’on aimait lire  » (avant-propos) « Et puis mon mari est photographe, on voulait faire un voyage ensemble, sortir nos enfants pour un moment de la routine, vivre des aventures. Et j’avais envie de savoir comment faisaient les autres écrivains. C’est un voyage de formation, pour moi, en quelque sorte. » (en réponse à Thomas McGuane qui renverse les rôles dans son interview) Les entretiens sont longs, fouillés, pertinents . Les photos renforcent ou aèrent le texte. C’est un régal. Extraits : Laura Kasischke : Voici comment se classent mes priorités : ma famille, mon travail, mes poules , et enfin l’écriture. (et elle leur donne des oeufs pour l’omelette du soir !…) Richard Ford : Je ne suis pas un grand fan des cafés littéraires (en français). Ce n’est pas un phénomène culturel que j’apprécie. Les questions sont trop simplistes. Mais vous connaissez ça, les salons du livre à St Malo ou ailleurs. On est assis dans un couloir, puis on nous fait monter sur une estrade, un type qui a un micro vous présente, vous avez un micro aussi, on vous pose des questions pour le bénéfice des gens qui passent distraitement dans les allées, c’est ridicule. Ecrire, c’est une chose que je fais solitairement pour les autres. Ayant été dans une tonne d’hôtels et de motels dans ma vie, j’y ai vu beaucoup de choses. Ce qui m’intéresse, c’est ce que font les gens quand ils croient que personne ne les regarde. J’ai travaillé avec une grande régularité sur « Canada » pendant deux ans. Puis presque un an pour le corriger. Et six mois pour l’éditer. Mais je prenais des notes sur la Saskatchewan depuis ma première visite. J’avais beaucoup de matériel accumulé dans mes carnets quand je m’y suis mis. Russel Banks : Pour moi écrire est un moyen de pénétrer un mystère auquel je n’aurais pas accès autrement. Quelque chose qui peut même paraître gênant, ou effrayant. Ecrire de la fiction me donne accès à une compréhension profonde de certaines questions. Je pense par exemple à ‘Lointain souvenir de la peau » Très bel entretien avec Dennis Lehane . Avec Jane Smiley également. Dans celui avec T.C Boyle : Question : quel est votre sentiment quand vous terminez un livre ? T.C.B : Oh, c’est l’extase. Il n’y a rien de mieux. Il y a un essai sur mon site qui compare cela à un shoot d’héroïne. – Vous avez pris de l’héroïne ? T.C.B : Oui. Et tout de suite après, vous avez une déprime terrible et la seule façon de la soigner, c’est de recommencer. C’est un cycle. L’obsession de produire de l’art est une addiction. Je pense que c’est terrifiant pour un artiste de perdre sa capacité à produire. Il y a tant d’écrivains américains qui se sont suicidés à cause de ça. Martin Winckler rencontré chez lui à Montréal : La traduction c’est un apprentissage de l’écriture. On apprend à écrire dans sa langue. C’est un travail sur le texte d’arrivée, pas sur le texte de départ. Pour un écrivain, traduire c’est écrire. David Vann , rencontré exceptionnellement à Londres entre deux voyages. Car David Vann, exilé volontaire, habite désormais entre la Nouvelle Zélande, l’Europe et la Turquie. Il « balance » beaucoup sur les Etats-Unis : Je pense que je n’y retournerai jamais pour y vivre ou y travailler à nouveau, de toute ma vie (…) Il y a tant de choses que je n’aime pas là-bas (…) Globalement c’est une nation de mensonges géants. Les Américains croient ces mensonges à propos d’eux-mêmes. Le plus gros de tous, c’est que l’armée américaine est bonne et que l’Amérique contribue à défendre le bien dans le monde. Je ne pense pas du tout que ce soit vrai (…) J’ai quand même envie d’ajouter que j’ai des amis et de la famille en Amérique, que je sais bien que la production culturelle est fantastique, il y a plein d’écrivains et de musiciens que j’adore. C’est une très grosse population. On ne peut évidemment pas généraliser comme je le fais (…) Il y a beaucoup de communautés que j’aime aux Etats-Unis, y compris celle de l’industrie du livre à New York. Mais on a quand même tendance à vouloir gober des tissus de conneries inimaginables. C’est la frustration qui me fait tenir un discours si extrême. Ils sont allés si loin qu’il ne reste que ça à la fin, la frustration. Pas pour nous , indeed 😉 Ce livre a reçu le prix ELLE 2015 dans la catégorie Documents 

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