Les amandes amères
Laurence Cossé

Folio
folio
janvier 2013
240 p.  7,50 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Joute entre deux femmes

Edith, interprète et son mari, vivant dans un appartement bourgeois du 15ème arrondissement prennent Fadila comme femme de ménage marocaine à leur service quelques heures par semaine.

Fadila, la soixantaine bien sonnée, marocaine est analphabète et ne se dirige que très difficilement dans ce Paris qu’elle ne connait pas très bien.

N’écoutant que son bon cœur, Edith se propose de lui apprendre le français, mais elle sait que ce sera difficile. A la recherche de manuels pour l’aider dans son œuvre, elle parcourt les librairies et, demandant la définition exacte de l’illettrisme, elle obtient deux réponses :
« Edith apprend la différence entre illettré et analphabète d’un vendeur aux allures de médecin pontifiant qui la reprend : « Quelqu’un qui n’a jamais appris ni à lire ni à écrire est analphabète. Un illettré a appris puis oublié ».
Et, plus direct par une jeune vendeuse : « La vendeuse, elle aussi très sûre d’elle, et noire, rigole : « En effet. L’illettré est français de souche et l’analphabète immigré ».

Donc merci Madame, Monsieur ; Fadila est analphabète

Ce sont tous ces instants que Laurence Cossé nous décrit. Edith utilisera la méthode globale, la méthode syllabique, prendra pour base les nom et prénom de Fadila, celui de ses enfants, son adresse…. Elle connaîtra un petit succès avec les chiffres, mais la tâche s’avère trop rude. 10 jours d’arrêt et il faut tout recommencer à zéro ou presque. Elles ont essayé d’aller à des cours d’alphabétisation, mais Fadila est refusée, trop vieille, Tentatives vouées à l’échec.

Pourtant Fadila est partante, enfin, pas toujours : « Elle ne semble par souffrir de la difficulté de l’apprentissage, c’est peu dire. Quand elle vient s’asseoir à côté d’Edith pour lui faire savoir qu’elle est prête à travailler avec elle, ce qui ne se produit pas chaque fois, loin s’en faut, elle est détendue. Tout son être l’est. Cette équipée lui plaît. ».
« Fadila manifeste une joie profonde à l’idée d’entrer dans le monde de l’écrit (de l’instruction de la culture, de la modernité, des pays avancés). Par différence sa honte est perceptible d’avoir été, d’être exclue de cet univers des lettres, comme si elle n’en était pas digne (« moi j’bête ») ».

Fadila peut s’exprimer en trois langues : l’arabe, le berbère et le français. De tradition orale, elle s’exprime avec beaucoup de bon sens et une intelligence certaine.
« Les gens ils disent c’ la pauvreté, mais c’pas la pauvreté. Au village, y a l’pain. Çui-là est noyé, il aurait mieux fait d’rester l’village. Mais les gens ils veulent plus avoir rien qu’à manger, ils veulent la grosse voiture, la grande maison, tout ça ».

Au fil du livre et de l’apprentissage, nous découvrons la vie de Fadila : mariée de force très jeune, elle s’enfuit de chez son mari. Vendue par son père à un vieux marocain, elle est sauvée in extremis d’un empoisonnement, se remarie une autre fois …. Elle n’a connu que le travail et le rapport de force mais ne se plaint jamais de cela. Par contre, elle est en guerre avec ses filles qui ne s’occupent pas assez d’elle et de son fils qui la néglige et n’en veut qu’à son argent.

Edith échouera dans sa tentative d’alphabétisation, Fadila n’intègrera jamais la notion de mot, ne saura jamais écrire correctement son nom.

Cette joute entre les deux femmes que tout oppose ira de l’esquive au pas de deux en passant par l’affrontement pour aller jusqu’à l’amitié et l’estime, chacune a sorti le meilleur de l’autre.
En ne modifiant pas le vocable de Fadila, Laurence Cossé ne l’enfonce pas, au contraire elle lui donne de l’oralité et de l’épaisseur. Dans un style sobre, sans fioriture, Laurence cossé nous narre une histoire pleine d’humanité mais avec un petit goût d’amande amère.

Au Salon des Dames de Nevers, le week-end dernier, Laurence Cossé m’a gentiment dédicacé ce joli récit.

Le premier livre lu était « Au bon roman » que j’avais trouvé fort riche et j’en ai un troisième dans ma Pile à Lire : « Vous n’écrivez plus ?»

Retrouvez Zazy Mut sur son blog

partagez cette critique
partage par email