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nuit blanche
Entre horreur et patriotisme
Hugues Béesau, dans sa longue et très bonne préface remet l’article de Félicien Champsaur dans son contexte. Ce préambule est enrichi par des extraits d’autres romanciers, comme Maurice Genevoix, d’extraits d’articles de journaux, d’extraits de lettres d’Etienne Tanty. Il relate toute l’horreur de l’enfer de Verdun, de cette guerre qui fit tant de morts dans les deux camps. Novembre 1916, sous le haut commandement du Général Nivelle, les forts de Douaumont et de Vaux sont repris à l’ennemi. Félicien Champsaur reçoit un courrier l’invitant à visiter les conquêtes françaises. Journaliste, dramaturge, écrivain, il accepte « avec joie » la proposition, tout ébloui qu’il est par ces victoires françaises sur l’armée boche. Le voici donc journaliste embarqué comme nous disons maintenant. Au début, le ton est « mondain», presque patelin, puis au fur et à mesure de l’avancée de la visite, la dramaturgie augmente. Reste cet élan patriotique et lyrique que n’entravent pas les descriptions presque photographiques des tranchées sous la boue. « Pour la première fois de ma vie, je contemple la Guerre, et je guette avidement ses regards de feu, du côté de Douaumont et de Vaux, les beautés espacées et puissantes de son souffle. » Dans ce début de reportage, le sacré et le mystique se partagent les mots de Champsaur ; « Oui la guerre a sa noblesse, sa splendeur, sa purification. Les visage de tous les saints de cette thébaïde ont dépouillé les empoisonnements qui marquent tant de figures dans la vie civile ». Il ira jusqu’à comparer leurs regards à ceux des Trappistes et autres moines. Les soldats reviennent du front, de l’affrontement, et offrent aux visiteurs leurs visages épuisés, résignés, terreux, là ils n’avaient plus dans les yeux cette exaltation héroïque, mais on y lisait la fatigue, la peur… Première confrontation avec la boue « c’est la boue qui nous attaque, nous empoigne aux chevilles, aux mollets, la boue effrayante. » puis avec la mort « Soudain, je glisse et crois m’agripper à une souche qui dépasse la paroi de terre : c’est le soulier d’un cadavre en train de glisser, de sa gangue de glaise, doucement, dans la tranchée. » (Cette phrase m’a marquée). La boue est leur pire ennemi, la mouscaille comme disent les poilus. C’est même le « personnage principal » de cet opus. Lorsque le journaliste laisse filer ses compagnons devant, il se retrouve seul dans la boue, dans le brouillard « Seul, j’ai eu peur ; en groupe, on est brave, et, s’il y avait du péril, on aurait peur seulement de paraître avoir peur. » Les forêts n’existent plus, les quelques arbres ne sont que des squelettes « Ces squelettes de bois dévastés, dans leur âme forestière, obscure et collective, se souvienent-ils d’avoir eu des feuilles ? » Tous ces soldats tombés au champ d’horreur « Ils engraissent la boue et la sanctifient ». Encore et toujours des élans patriotiques : « De cet enfer de Verdun doivent sortir, dans l’histoire, une autre ère, plus douce, une fraternité des peuples, une autre géographie mondiale. » Juste avant de retourner bien au chaud et au sec à la table de Nivelle, il prendra sur le corps d’un soldat allemand, une lampe électrique qui lui permet, en conclusion de son article, une dernière envolée lyrique. Les descriptions de Félicien Champsaur sont réalistes, évocatrices de l’horreur qu’il a vue. Il se pose même cette question « Est-ce que j’aimerais la guerre » lorsqu’il décrit le champ de bataille comme épouvantable et magnifique. Oui, il a, comme beaucoup de français, la haine du boche, du prussien. Pourtant, soldats français et prisonniers allemands «… se regardent sans haine. Ce sont tous des hommes, des victimes des orages d’en haut… » Félicien Champsaur oscille entre l’horreur qu’il voit, décrit et le patriotisme exacerbé par les paroles officielles de généraux dont Nivelle, la haine du boche, ce besoin, peut-être, de se galvaniser pour continuer de croire en une victoire rapide et définitive. Surtout, cette obligation de ne rien dire sur les défaites, les morts, les conditions de vie et de mort (en 1916). Le ton est très journalistique, les descriptions sont superbes et dures à la fois, mais presque cliniques, je n’y ai senti que peu d’émotions. Un texte à lire, relire pour accepter cette dualité entre l’horreur et le patriotisme Retrouvez Zazy Mut sur son blog |
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