Nouvelle rencontre avec Vincent Crouzet
« Si c’était à refaire, je ne le referais pas » Début avril , o n l a l u était le premier à vous présenter « Radioactif », un thriller d’espionnage du Français Vincent Crouzet, dont le thème promettait de faire couler de l’encre. Sur ce plan, le livre a tenu ses promesses. Depuis sa sortie en librairie, il a été cité dans pas moins de 75 articles, tous médias confondus. Son auteur est pourtant loin de triompher. Il s’avoue « désabusé », « embarrassé », « pas à sa place »… « Si c’était à refaire ? Je ne le referais pas », nous confie-t-il même, à l’heure de dresser un bilan. Retour sur le curieux itinéraire d’un livre inclassable. Expert en géopolitique, spécialiste du marché du diamant, Vincent Crouzet, 50 ans, s’est fait romancier pour exploiter son expérience du terrain. Le sujet de son cinquième roman lui a été inspiré par un homme d’affaires indo-pakistanais ayant oeuvré en Afrique dans le commerce des matières premières, Saifee Durbar. Fin 2009, un ami commun les avait présentés à Londres. Ce petit homme truculent, au carnet d’adresses en or, lui avait déballé une hallucinante histoire d’achat pipé de mine d’uranium par un grand groupe français : plusieurs centaines de millions d’euros d’argent public détourné et évaporé en rétrocommissions. Il avait même balancé les noms des bénéficiaires. Du très lourd. Le Français avait reconnu l’affaire UraMin, du nom de cette société minière canadienne qui plombe depuis 2007 les comptes et la réputation du groupe Areva, fleuron tricolore du nucléaire. Son contact lui livrait sur un plateau le casting et le mécanisme d’une arnaque géante. Quel auteur d’espionnage aurait résisté ? Vincent Crouzet a mûri son projet. Il l’a écrit en s’amusant, pimentant la sauce, donnant des pseudos rigolos aux protagonistes : le Radjah pour Durbar, Melchior et Balthazar pour les Français corrompus. « Mon ambition était juste d’écrire un bon thriller pour le grand public »… Il ne pouvait pas prévoir que le 3 avril, jour de la sortie de son livre, le parquet national financier ouvrirait une enquête préliminaire sur les conditions du rachat d’UraMin par Areva. Ni qu’au même moment, la Cour des comptes s’intéresserait aussi au dossier. C’est ce qui a tout changé. Comment faire la promotion d’une fiction que rattrape la réalité ? Et surtout, que répondre à un lecteur un peu curieux quand la justice est en train de s’intéresser au lièvre que vous avez levé. « Au début, je me suis un peu caché », explique-t-il aujourd’hui. En limitant les séances de dédicace et en renoncant aux salons. En juin, pourtant, il se retrouve exposé. Il révèle dans une interview le petit rôle qu’il a joué dans l’affaire : après leur tête à tête londonien, il a transmis aux autorités françaises un message de Saifee Durbar, qui craignait alors pour sa vie. « J’ai dû sortir du bois car les conseillers en lobbying d’Anne Lauvergeon (NDLR. Pdg d’Areva à l’époque de l’affaire) commençaient à dénigrer mon livre en racontant qu’il était commandité par ses ennemis ». Se laisser instrumentaliser, pas question. Aussitôt, les enquêteurs le convoquent comme témoin. Sept heures d’audition dans les bureaux du pôle financier à Nanterre. Devenu un peu acteur de l’affaire, le romancier va dès lors crouler sous les sollicitations… « J’ai « fait le métier », mais sans répondre à toutes, car j’étais partagé entre cette notoriété qui pouvait rejaillir sur mon livre et ma volonté de le voir accueilli juste comme une fiction » Avec le recul, il garde de cette couverture médiatique l’impression d’un gros malentendu. « Mon cas est unique : un auteur entendu à cause de son livre, dans le cadre d’une affaire politico-financière d’envergure nationale. Et pourtant, les critiques littéraires ne m’ont quasiment pas lu. Comme si, à leurs yeux, culture et actualité devaient être déconnectées. Je trouve ce paradoxe troublant. » Le malaise ne se dissipera pas tout seul, et pas tout de suite. Pas tant que la justice n’aura pas bouclé le dossier, si elle y parvient. « Le Pôle financier regroupe une quinzaine de magistrats et 90 policiers pour 220 dossiers. Rien que pour l’affaire UraMin, il faudrait 40 enquêteurs, et des commissions rogatoires pour couvrir une douzaine de pays. Les personnes qui sont mises en cause, elles, ont beaucoup d’argent et de pouvoir… » Vincent Crouzet sait que l’affaire Uramin peut peser quelques années encore sur sa vie de tous les jours. Il fait front sans stress, calme, tranquille, bien entouré. « J’ai vécu des moments plus durs, plus dangereux ». Pour se nettoyer la tête, il s’est attaqué à son sixième roman. Un autre thriller inspiré de la réalité, mais plus personnel : « Le récit d’une expérience de ma vie professionnelle qui m’a pris aux tripes, sans doute ce que j’ai fait de plus excitant, de plus haletant. » Et puis « Radioactif » lui a tout de même valu du positif : une touche dans le milieu du cinéma. « J’ai été contacté par une très grosse franchise internationale qui cherche des thèmes d’actualité contemporains pour son héros récurrent », glisse-t-il, dans un sourire de conspirateur. Une forme de reconnaissance, enfin, mais qui ne rétablit pas l’équilibre… « Le jeu n’en vaut pas la chandelle. Aucun roman ne vaut de se retrouver au coeur d’une telle affaire. Même si j’en vendais 100.000 exemplaires (NDLR. il en est à 4 ou 5.000), aucun livre ne vaut d’avoir son téléphone écouté, d’être suivi, surveillé… Je n’ai pas été menacé, mais je fais attention dans mes déplacements. Le Radjah, lui, a reçu des pressions et des menaces directes. Ce n’est pas confortable de devoir être vigilant. En outre, je m’attendais à ce que mon roman suscite de la curiosité, alors qu’il apparaît presque suspect, comme sulfureux… Alors, si c’était à refaire, non, je ne le referais pas. » La réalité serait-elle un matériau dangereux pour un écrivain ? Faut-il renoncer à bâtir une fiction sur une histoire vraie lorsque celle-çi touche à des puissants ? Un écrivain est-il trop seul, trop désarmé, pour raconter un scandale politico-financier de grande ampleur ? Le parcours de « Radioactif » soulève autant d’énigmes que les milliards disparus de l’uranium centrafricain… Lire notre rencontre d’avril avec Vincent Crouzet |
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