C’est à chaque fois le cœur serré, mais comblé qu’on referme les livres de Per Petterson. La perspective de se plonger dans le dernier roman de ce grand auteur norvégien est une joie tant il tient toujours ses promesses d’une écriture puissante au service d’histoires très sensibles. Avec « Je refuse », nous le retrouvons à son sommet.
Jim et Tommy étaient copains depuis la toute petite enfance et se sont soutenus pour porter le fardeau de leurs vies « Comme le Christ et Simon de Cyrène ». Jusqu’au jour où sur un lac gelé, alors qu’ils ont dix-huit ans, à la faveur d’un bien futile malentendu, leur amitié va se briser aussi brutalement que la glace qui aurait pu se fendre sous leurs pieds.
Trente ans plus tard, par hasard sur un pont suspendu à Hvøya dans la banlieue d’Oslo, ils se retrouvent face à face. Jim qui était la star du lycée, n’est plus qu’une ombre, un mort vivant désocialisé. Pour Tommy tout semble au contraire avoir bien tourné. Il roule au volant d’une voiture de luxe. La réussite sociale a été au rendez-vous alors que rien n’était joué d’avance pour lui. Abandonné par sa mère à la violence d’un père intraitable, il a été séparé de ses trois sœurs et placé en famille d’accueil, chez un certain Jonsen qui va l’aider à s’en sortir.
Si le thème de surface est l’amitié, Per Petterson explore en profondeur celui des liens familiaux, « comme si c’était un bien que nous possédions en commun (…/…) quelque chose d’intime et de violent, un lien occulte et brûlant qui nous unissait. Un lien de sang ». Car si une amitié peut être anéantie tout net, il en va tout autrement d’une relation parent/enfant où la vie, voire la mort, peut vous rattraper pour vous obliger à assumer l’existence de ce lien indéfectible. Même quand il a été nocif, voire destructeur. « Il avait refusé de toutes ses forces, mais cela n’avait pas suffi ». Ce premier refus du livre est celui du vieux Jonsen, atteint d’un cancer en stade terminal, et qui ne peut se résoudre à mourir. Mais c’est aussi le refus qui tel un fil rouge anime tous les personnages de cet admirable roman polyphonique. Le refus de vivre pour Jim qui est suicidaire, le refus d’aimer et jouir de la vie pour Tommy. Celui de Siri la sœur de ce dernier, qui s’interdit de reconnaître les traces laissées par sa mère disparue.
S’il fait froid à pierre fendre tout au long de ce roman, si l’air y est plus que saturé de blanc, Per Petterson parvient à faire fondre la glace de tous ces cœurs en hiver et nous faire ressentir leur chaleur profondément humaine. C’est une bien triste histoire de personnages transpercés de chagrins, mais une très belle et inoubliable histoire. On attend déjà son prochain roman, fébrilement.