La montagne a ses héros. Incontestablement, Reinhold Messner est l’un d’eux. L’homme qui a gravi les 14 sommets de plus de 8000 mètres de la planète et fut le premier à vaincre l’Everest sans oxygène, a décidé de rendre hommage à une autre figure légendaire de l’alpinisme, son concitoyen italien Walter Bonatti. Ils se sont rencontrés tardivement, mais Messner qui a 14 ans de moins que Bonatti, tient à rendre hommage à celui qui l’a inspiré et qu’il considère comme son grand « frère de cœur ».
Ces deux-là ont une conception particulière de l’alpinisme. L’un et l’autre tiennent à distance, dans un souci presque esthétique, l’escalade trop artificielle, mais surtout, Bonatti invente les courses en solo – en 1965, en plein hiver, il ouvre seul une voix qui le conduira au sommet du Cervin. Les courses en solo qui seront, justement, l’une des marques de la carrière de Messner.
Il faut dire que Bonatti avait une bonne raison de se méfier des expéditions importantes, aux relents souvent nationalistes, comme la fameuse expédition italienne de 1954 au K2 à laquelle il participa – il avait alors 24 ans – et qui vit deux de ses compatriotes grimper pour la première fois sur la deuxième montagne de la terre. Cette victoire déclencha, dix ans plus tard, une polémique de 50 ans, où les détracteurs de Bonatti, mus par la jalousie, l’accusèrent d’avoir tenté d’atteindre seul le sommet au détriment de l’équipe et au péril de la vie de son porteur.
Cette calomnie, Messner s’y attaque méthodiquement. Et c’est l’une des grandes réussites de ce livre gigogne. En même temps qu’il raconte la vie et les exploits hallucinants de Bonatti et en creux un peu de sa vie et de ses exploits à lui, Messner intercale le récit de cette fameuse expédition de 1954. Il reprend tous les éléments qui démontrent non seulement la totale innocence de Bonatti, mais surtout à quel point c’est lui qui fut victime de la trahison de ses deux accolytes.
Le récit de cette ascension se lit comme un policier et l’on découvre que la montagne n’est pas ce domaine des Dieux, d’une infinie pureté, que l’on se plaît à imaginer. C’est d’abord celui des hommes. Ceux qui défient les éléments avec abnégation, courage et une énergie hors du commun. Ceux aussi qui, guidés par une ambition aveugle, un ego démesuré, un orgueil maladif, sont prêts à tout, vraiment à tout, pour passer pour des héros. Et ceux-là sont des salauds.
Avec des mots simples et justes, Messner raconte ces montagnards et l’on finit par comprendre et s’attacher à ces hommes qui nourrissent des rêves presque inhumains et tentent l’impossible au risque d’y laisser leur vie.