Un fond de vérité
Zygmunt MILOSZEWSKI

traduit du polonais par Kamil Barbarski
Pocket

544 p.  8,40 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Un polar « polak », ça change !

Zygmunt Miloszewski incarne-t-il une école polonaise du roman policier ? Ou bien brandit-il juste l’étendard de son propre talent ? Une certitude : grâce à lui, le drapeau blanc et rouge flotte bien haut sur la carte de la mondialisation du polar. En 2013, ce journaliste-écrivain de 38 ans, endurci à l’école du faits divers, s’était déjà fait remarquer avec « Les Impliqués », premier volet de sa saga, finaliste dans trois palmarès littéraires majeurs (Polar SNCF, Polar européen du point, Prix des lectrices de Elle). Aujourd’hui, avec « Un fond de vérité », il confirme tout le bien qu’onlalu en pensait à l’époque.

Il nous invite à retrouver l’élégant et grisonnant Teodore Szaki, ce procureur-séducteur dont la fonction et la personnalité cristallisent quelques interrogations de fond sur la Pologne moderne. Choix judicieux pour un héros récurrent. Un magistrat plutôt qu’un policier, pour avoir un pied dans la capitale et l’autre en province. Un divorcé en quête de sensations, histoire de se glisser dans d’autre intimités que celles dictées par l’enquête. Un homme cultivé, capable de distinguer un peu de lumière dans les ténèbres.

Tout frais muté dans la tranquille cité historique de Sandomierz, le beau Teodore hérite d’un crime mis en scène comme un rituel antisémite. Sur cette terre qui a connu les pogroms et les camps d’extermination, c’est la boîte de Pandore qui s’ouvre. Le voici aspiré dans un tourbillon de préjugés rances et de vieilles haines jamais surmontées. Ce premier meurtre, et ceux qui vont suivre, relèveraient-il d’une vengeance religieuse ?

Le romancier polonais use de l’énigme policière comme d’un prétexte. Il renvoie ses compatriotes à leur passé de divisions religieuses. Il tourne en dérision une certaine vision de la nation, ou de la patrie, fondée sur le rejet et l’oppression. Il s’en sort en évitant tous les pièges, à commencer par celui de l’ennui, s’appuyant sur un sens du récit impeccable et un humour subtilement désespéré. Le polar comme prisme d’une culture, comme décodeur d’une société. Une fenêtre qui s’ouvre.

 

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coup de coeur

C’est la période des gros pavés et nous ne sommes pas en mai 68. Après la 7ème fonction du langage, je me retrouve non pas avec un policier, mais le procureur Teodore Szacki, polonais débarqué depuis peu de la capitale dans une charmante ( ?) petite ville endormie. Sandomierz. Le procureur, a souhaité venir vivre ici suite à son divorce, mais, il faut être honnête, il s’emmerde vraiment et ce ne sont pas les quelques parties de jambes en l’air qui change la donne. Heureusement, la découverte du corps d’une jeune femme devant la synagogue va animer sa vie. Qui a pu tuer cette jolie jeune femme, catholique (très important) que tout le monde semble aimer ? Pourquoi cela semble t-il être fait selon un rituel juif ? Le mari, cocu et futur abandonné est le premier et principal suspect… jusqu’à ce que l’on découvre son corps tué dans les mêmes rituels juifs. Est-ce le retour de la croyance en la légende du sang illustré sur un vitrail de la cathédrale ? Toujours cette petite puisque dans la tête de Szacki qui lui fait creuser au-delà de ce que l’on voudrait lui faire croire, mais… Ce polar ne côtoie pas l’absurdie rencontrée dans L’assassinat d’Hicabi Bey ou Des mille et une façons de quitter la Moldavie, du même éditeur. Pourtant, c’est du solide, de l’efficace. Les us et coutumes de Sandomierz sont passés au crible sans aucun état d’âme par Teodore Szacki. Ce gros bourg où tout se sait, mais où une partie des choses est cachée comme les sous-terrains, les vieilles histoires datant de la dernière guerre. Pourtant, rien n’est oublié, les vieilles rancœurs, la défiance et la méfiance (pour parler gentiment) envers les juifs sont toujours là. L’auteur nous fait toucher du doigt les relations difficiles entre polonais catholiques et juifs polonais. Miloszewski raconte ce passé, caché, du nazisme, mais Ô combien présent et profond A partir de ce meurtre, Zygmunt Miloszewski raconte sa Pologne où l’antisémitisme règne encore et toujours. Il dépeint les us et coutumes de ces petites villes de province où tout se sait, où tout est pourtant caché, où le temps coule plus lentement, les distances plus courtes, voire beaucoup plus courtes. Si la vie provinciale peut être ennuyeuse parfois, la lecture de ce livre ne l’a pas été. Tout s’imbrique, se mélange, s’aère, se complique sans jamais baisser d’intensité. Toute superstition ne contient-elle pas « un fond de vérité » ? comme les habitants de Sandomierz essaient de faire comprendre au procureur. Une belle nuit blanche, un livre dense, intelligent, consistant comme les gâteaux polonais qui, bu avec une tasse de thé, sont un délice. Zygmunt Miloszewski sait manier le suspens, très bien dépeindre son pays. La traduction de Kamil Barbarski m’a fait découvrir un auteur avec lequel je vais remonter le temps en lisant « Les impliqués ». Une belle réussite des Editions Mirobole qui m’avaient déjà enchantée avec « L’assassinat d’Hicabi Bey »et « Des mille et une façons de quitter la Moldavie »

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coup de coeur

Au fond c’est la fange

Teodore Szacki fut, dans le premier tome de ses aventures (« Les impliqués »), procureur à Varsovie. Le voici, dans ce second tome, procureur à Sandomierz, riante bourgade campagnarde polonaise, empreinte d’un passé historique et culturel, mais dans laquelle Teodore s’embête ferme.

Survient alors le meurtre d’Ela Budnik, assassinée à l’aide d’un couteau de rituel juif casher, dont le corps est abandonné à l’emplacement d’un ancien cimetière juif, à côté d’une synagogue reconvertie en archives.

Outre le fait que Teodore Szacki pratique le cynisme et la causticité de manière toute naturelle et que cela dénote un peu dans le paysage local, son enquête lui donne l’occasion d’exhumer le passé polonais plus que trouble en matière de relation à son identité nationale et à l’antisémitisme.

De la galerie de personnages proposée par Zygmunt Miloszewski il n’y en a pratiquement aucun pour paraître franchement sympathique, en dehors peut-être de la morte et de sa grande amie, Barbara Sobieraj, l’autre procureur de Sandomierez, écartée de l’enquête mais qui va seconder Teodore Szacki. Du mari d’Ela Budnik (figure politique locale et donc forcément magouilleuse) à Leon Wilczur (commissaire bougon qui ne distille que des avis négatifs sur les différents protagonistes) en passant par Jurek Szyller (homme d’affaire aux accents et relents – mais forts policés – de nationalisme et de racisme), par Ourson (la chef de Teodore qui ne vit que pour la manipulation d’autrui et des médias) ou encore par les médias eux-mêmes (que Teodore exècre pour leur voyeurisme et leur faculté à manipuler les masses) et jusqu’à Teodore lui-même (qui passe rapidement pour hautain et pédant, lui venant de la capitale et atterrissant dans un pauvre bled isolé), chacun a de quoi balayer devant sa porte.

En plus de ce que représente chaque personnage, Zygmunt Miloszewski y ajoute la question de la religion à travers d’une part toute la question juive autour de la mise en scène de l’assassinat d’Ela Budnik et d’autre part le rapport très fort qu’entretiennent les polonais avec la religion catholique via l’entremise de la légende de juifs kidnappant et vendant des enfants catholiques dont une représentation est pudiquement cachée par un voile dans l’église de Sandomierz mais bien présente malgré tout. Le fait de masquer mais de ne pas détruire la représentation « artistique » de cette légende, qui plus est dans l’église, est tout à fait symbolique de l’ambivalence des rapports de la Pologne avec le peuple juif.

Il y a quelque chose de pourri au royaume de Pologne et Zygmunt Miloszewski (Dieu que ces prénoms et noms sont improbables pour un non–polonais) fait l’inverse de ce que font les polonais : au lieu de cacher l’antisémitisme et d’une manière plus générale le racisme avec des éléments autres, c’est avec le racisme et l’antisémitisme qu’il cache le véritable fond de vérité des crimes commis à Sandomierz !

Le Vent Sombre a également (et bien mieux que je ne saurai le faire) rendu hommage à ce très bon texte.

Et Mirobole confirme pour l’instant tout le bien que je pensais de leur catalogue et tout celui qu’on peut lire à droite et à gauche.

Quelques joyeux extraits :

Page 61 : Teodore se dit qu’il n’avait pas entendu parler d’assassins ou de voleurs à Sandomierz, à moins qu’on prenne en compte les bistrots du coin où les saveurs étaient assassinées et les palais brutalement violés.

Page 62 : Peut-être qu’elle était agaçante ? Trop engagée ? Trop catholique ? Je n’en sais rien, moi, peut-être qu’elle n’achetait pas assez de produits locaux au marché ? On est en Pologne, bordel, ils devaient bien la haïr pour une raison ou pour une autre, casser du sucre sur son dos, la jalouser…

Page 115 : C’est pourquoi il avait pris part, sans enthousiasme, à des exercices érotiques dont une bonne moitié était louche, l’autre simplement stupide et le tout parfaitement éreintant.

Page 136 : Moitié zombie, moitié poivrot. Un vrai catholique, joyeux et heureux que Dieu lui ait ouvert un chemin lumineux jusqu’au ciel.

Page 319 :
• Ecoute, si je me souviens bien, ton vieux est un malfrat, un ramasseur de pots-de-vin, un tortionnaire et une larve gluante.
• Exact, il est flic.

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