La Villa du jouir
Bertrand Leclair

Serge Safran
janvier 2015
262 p.  17 €
ebook avec DRM 11,99 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Erotissimo !

Marc est romancier et Hannah, qui l’aborde à la fin d’une table ronde à Berlin, est bien la lectrice la plus attirante qu’il ait jamais vue. A l’idée de terminer la soirée avec elle, il se rengorge, fier d’avoir séduit une si belle femme. « Un petit coq vaniteux, voilà exactement ce que j’étais ». Quand, plus tard lors de retrouvailles à Paris, elle avoue l’avoir séduit pour le compte d’une femme mystérieuse qu’elle appelle la princesse, Marc est tout autant vexé qu’intrigué. Hannah consent à lui donner quelques indications. La princesse est la femme d’un milliardaire russe, elle voudrait que Marc vienne passer quelques temps sur une île déserte où elle a édifié une maison dédiée au plaisir, la Villa du Jouir. Une fois là-bas Marc, comme les autres hommes déjà sur place, sera au service des femmes, recruté qu’il est pour assouvir le plaisir de la princesse, de ses dévouées assistantes Hannah et Hestia mais aussi celui d’amies de passage. La princesse promet à Marc de délicieuses soirées, et beaucoup d’argent : « Je suis persuadée que vous serez délicieux quand vous serez passé de l’autre côté du rideau des idées reçues sur le désir féminin, sur le vôtre aussi bien, sur la jouissance et son accomplissement ».
Marc accepte, et se rend membre tendu dans ce coin de paradis où il doit apprendre à être un simple objet de désir. Il est flatté : alors que les autres hommes ont été uniquement sélectionnés sur leur physique, lui l’a été parce qu’il est aussi écrivain. La princesse veut qu’il profite de son séjour à la Villa pour écrire des nouvelles érotiques.
Il est surprenant de voir à quel point, et avec quel plaisir évident, Bertrand Leclair passe d’un genre romanesque à un autre. Outre les essais, romans et récits qu’il a pu écrire par le passé, il suffit de regarder ses trois derniers livres pour se convaincre de sa virtuosité : « Malentendus », en 2012, était un roman très émouvant sur la vie d’un jeune sourd dans lequel il mêlait le récit de sa propre expérience de père d’un enfant malentendant, « Le vertige danois de Paul Gauguin » en 2013 était un délicieux récit sur un épisode méconnu de la vie du peintre, et aujourd’hui voilà cet inattendu roman érotique. Toujours, on retrouve une même envie de raconter, une même gourmandise des mots. Car la cohérence du travail de Bertrand Leclair est dans son style, cette phrase précise et fluide, son empathie avec ses personnages et sa capacité à nous embarquer dans ses histoires. Et il en faut, du style, pour s’attaquer à un genre si difficile, nous décrire dans le moindre détail les soirées auxquelles participe Marc, ses sensations et ses sentiments, sans tomber dans les clichés, la vulgarité ou la facilité.
Partons donc avec Marc sur cette île fantasmatique. Ici, tous les codes sont renversés. Les hommes, esclaves consentants, attendent dans un sous-sol l’arrivée des femmes, « tournent fauves », rendus fous de désir, rivalisent pour être choisis –élus- par la princesse, accumulent les réactions infantiles. Les femmes dirigent, organisent, hurlent de plaisir et ne perdent pas pour autant de vue leurs intérêts. Car le but poursuivi est politique, la princesse travaillant en secret pour d’obscures révolutions africaines.
Une nostalgie désespérée recouvre toutefois ce texte car lorsque Marc nous raconte son séjour dans la Villa, voilà bien longtemps qu’il en a été chassé. Le lieu n’est plus qu’un souvenir qui le torture, alors que les scènes qu’il a vécues là-bas continuent à le hanter. Il cherche désormais sur internet à localiser son île, sans succès. Il relit aussi sans fin les quelques pages qu’il avait rédigées sur place, seulement quelques pages car, là-bas, il était incapable d’écrire.
Ainsi, et comme toujours chez Leclair, dans ce livre surgit soudain une interrogation purement littéraire : peut-on écrire la vie, peut-on écrire quand on vit ? Ou ne peut-on écrire que sur ses regrets ?

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