Un hiver long et rude
Mary LAWSON

traduit de l'anglais par Michèle Valencia
10 X 18
roman
janvier 2015
384 p.  8,10 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Une famille dans la tourmente

S’il y a une chose sur laquelle il ne faut pas s’arrêter dans le nouveau roman de Mary Lawson, c’est sur le titre peu engageant qui nous ferait presque attraper la grippe. Ce n’est pas parce que l’hiver de la famille Cartwright est long et rude que notre moment de lecture le sera forcément. Bien au contraire. C’est au cœur du Canada des années 1960, dans un petit village nommé Struan, que s’ouvre le récit. Les Cartwright vivent avec leurs sept enfants dans cette région reculée aux hivers pénibles. Megan n’en peut plus. Seule et unique fille de la fratrie, elle gère la maison, s’occupe du linge, fait la cuisine et le ménage depuis quinze ans, pendant que sa mère enchaîne les grossesses. La jeune fille a pris sa décision. Elle s’envole dans quelques jours pour Londres, vivre enfin sa vie.

Le départ de Megan a l’effet d’une bombe dans le quotidien des Cartwright. La maison part à vau-l’eau, il n’y a rien à manger dans les placards. Une odeur nauséabonde habite désormais les lieux. Si les grands peuvent se débrouiller seuls, le petit Adam, 4 ans, délaissé par sa mère qui vient d’accoucher de son huitième enfant et n’a d’yeux que pour lui, est totalement perdu. A contre-cœur Tom, l’aîné de la famille, décide de s’occuper de son petit frère. Engoncé dans une profonde dépression à cause du suicide de son meilleur ami, Tom fuit tout contact humain. Ancien étudiant brillant, promis à un grand avenir, il travaille à mi-temps sur la déneigeuse du village. Edward, le père, ne sait que faire pour rétablir l’ordre dans sa maison. Dès qu’il rentre de son travail à la banque, il s’enferme à double tour dans son bureau et se plonge dans des livres d’histoire. 

« Un hiver long et rude » raconte la vie de la famille Cartwright à travers trois de ses membres : Tom, Edward et Megan. Trois destins différents qui se débattent pour les uns dans le paysage hostile de Struan, recouvert d’un grand manteau de neige compacte, et pour l’autre au cœur du Londres excitant des sixties. Les rancoeurs et les idées noires peuplent les pensées. Le père relit tous les soirs le journal intime de sa mère, revit à travers ses mots son enfance malheureuse sous le joug d’un père violent et aviné, se remémore encore et encore les souvenirs de Rob qui s’est jeté du haut d’une falaise. Pendant ce temps, sa femme s’enfonce peu à peu dans une douce folie qu’Edward et Tom font mine d’ignorer. Malgré la mélancolie des personnages, il est difficile de ne pas s’attacher à eux. C’est peut-être ce qui fait le talent de Mary Lawson dans cet ouvrage. Il y a aussi une petite musique, faible et mélodieuse, qu’on remarque à peine, et qui nous berce avec délice jusqu’à la fin de l’histoire, à l’image de la danse tournoyante des flocons dans le ciel. Un petit rien qui nous happe avec délicatesse et qui ne nous laisse pas nous échapper. « Un hiver long et rude » reste cependant un roman cruel qui dresse sans indulgence aucune le portrait d’une famille dans la tourmente dont chaque membre est l’otage.

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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Les auteurs canadiens, hormis Nancy Huston et Margaret Atwood, sont très peu connus en France. J’avais lu, il y a quelques mois « Les O’Brien » de Peter Behrens Ed 10-18, poussée par la motivation de découvrir ce que les canadiens anglophones avaient à dire. C’est dans le même état d’esprit que j’ai choisi de lire « Un hiver long et rude », surtout qu’il se situe dans une province que je connais : l’Ontario. La famille Cartwright, installée dans une toute petite ville perdue au nord de l’Ontario, est ce que l’on peut appeler une famille nombreuse : 7 garçons et une fille. Le père, Edward, est directeur de banque. La mère, Emily, mère au foyer complètement dépassée par la situation, laisse sa fille Megan, 21 ans, gérer le quotidien. Tom, le frère aîné, poursuit ses études à Toronto. Tout semble aller pour le mieux dans cette famille, jusqu’à ce que Megan, lassée de gérer toute cette maisonnée, réalise qu’elle est en train de passer à côté de sa vie et qu’elle doit partir. Elle décide de rejoindre une de ses amies d’enfance installée à Londres. Ce départ sera le grain de sable qui va enrayer la vie de cette famille et révéler ses failles. Le roman court sur les deux années durant lesquelles la famille va dériver. Chaque chapitre donne alternativement le point de vue du père, de Tom et de Megan, nous livrant ainsi les questionnements, les douleurs de chacun. Je ne veux pas en dire trop pour ne pas dévoiler l’histoire. Finalement, ce roman ne nous raconte pas la vie dans le grand nord canadien, à part les inconvénients et les contraintes générées par les tempêtes de neige. Non, il s’attache à montrer quelque chose de beaucoup plus universel : la famille, ses membres, leurs relations . Le personnage du père est particulièrement touchant.En effet, il pose la question : comment devenir un père quand on a été soi-même un enfant martyrisé par son propre père ? Le personnage de Megan est lui aussi passionnant à suivre. Perdue à son arrivée à Londres, elle a en elle une force et un courage qu’elle ne soupçonnait pas et qui vont lui permettre de rebondir formidablement bien. J’ai trouvé qu’il y avait en elle un peu du personnage du formidable roman « Brooklyn » de Tom Coibin. J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre qui m’a donné envie de découvrir les autres romans de cette auteure canadienne.

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