Monsieur Mozart se réveille
Eva Baronsky

Le Livre de Poche
janvier 2015
432 p.  7,60 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Fantaisie impromptu

Dans son premier roman paru en Allemagne en 2009, Eva Baronsky se livre à une expérience originale : elle immerge dans notre époque le plus célèbre des compositeurs de musique, Wolfgang Amadeus Mozart, qui devient le personnage principal d’une histoire narrée avec brio et sensibilité, sans jamais tomber dans les écueils triviaux.

Un soir de décembre 1791, Mozart agonise chez lui, à Vienne ; il n’a que trente-cinq ans. Mais par un tour de passe-passe divin, astrologique ou magique, il se voit attribuer un sursis d’un an : il se réveille dans une chambre inconnue, toujours dans la même ville, mais deux cent quinze ans plus tard, en 2006 ! Le mourant désormais bien vivant croit d’abord être au purgatoire, avant de s’estimer victime d’un châtiment divin. Mieux encore, il pense que la contrepartie de ce miracle consiste en une mission céleste : l’achèvement du « Requiem », son œuvre ultime. Quoi qu’il en soit, dans ce monde il est un inconnu qui se retrouve à la rue, chassé de toute part comme un clochard ivre, drogué ou fou, découvrant en vrac les voitures, les gens, les magasins, les bruits et les odeurs de la ville du XXIème siècle. D’abord effrayé et stupéfait par ce monde agressif qu’il ne reconnaît pas, Mozart se sent gagné par la solitude et le désespoir lorsqu’il est sauvé par quelques notes de musique entendues au coin d’une rue. Il s’agit de Piotr, un violoneux polonais, qui, pour quelques dizaines d’euros, distraie les touristes et les clients des restaurants bon marché. Exilé comme lui à sa manière, Piotr prend Mozart sous son aile et en fait son accompagnateur. Grâce à lui, Wolfgang, qui dissimule son identité par prudence, apprend les rudiments de la vie moderne qui le fascine et s’informe avec avidité des nouveautés musicales depuis sa mort théorique. Il n’a rien perdu de l’ardeur ni de la curiosité qui l’ont animé toute sa vie et se dirige d’instinct vers tous les sons qui lui parviennent. C’est ainsi qu’il atterrit dans une boîte de jazz, le Blue Notes, où le charme opère immédiatement. Mozart se prend de passion pour ce genre musical qui lui rappelle ses propres succès : de son temps déjà, on se rendait au concert pour le voir improviser. Alors quand il se mêle au jazz band, il fait fureur. Son extraordinaire énergie, sa décontraction, son inspiration sans bornes et sa virtuosité en font la coqueluche du lieu. Peu à peu, amateurs, marchands de pianos, professeurs de musique, mécènes et agents artistiques découvrent un musicien et un compositeur hors-pair dont on passe toutes les excentricités qu’on attribue à son génie. Car Mozart, s’il a changé d’époque, reste le même : orgueilleux, peu soucieux des obligations matérielles, séducteur, il entend rester libre et fuit carcans, contraintes et étiquettes pour ne garder que le meilleur : la musique, les hommages et l’amour.

Eva Baronsky ne se laisse jamais écraser par son sujet monumental, son roman est léger, joyeux et plein d’humanisme pour les exilés d’une société à deux tempos. Le compositeur vibrionnant insuffle de la fantaisie et de l’émotion dans quelques cœurs solitaires, et cela n’a rien d’anachronique, c’est même intemporel !

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