Les Luminaires
Eleanor Catton

traduit de l'anglais par Erika Abrams
Buchet Chastel
litt etrangere
janvier 2015
960 p.  27 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Astrologiquement vôtre

Lorsqu’en 2013, la Néo-Zélandaise Eleanor Catton âgée de 28 ans reçut pour son deuxième roman « Les luminaires », le Man Booker Prize, elle réalisait deux records. Celui de devenir la plus jeune lauréate de l’histoire de ce prestigieux prix qui couronne une fiction en langue anglaise, et celui du plus long roman jamais récompensé en 45 ans avec 990 pages.

Autant vous dire que prendre en main ce pavé auréolé est la promesse de découvrir un véritable phénomène littéraire. L’« avis fait au lecteur » en première page peut cependant laisser un rien dubitatif. Ce préambule expose les fondements astrologiques de la construction narrative et l’on ne peut s’empêcher de penser que toutes ces obscures considérations sur les positions stellaires et planétaires, autant que sur le phénomène de précession, pourraient vous décourager d’aller plus loin. Ne vous y attardez pas et rentrez confiant dans une lecture certes exigeante, mais des plus captivantes. Eleanor Catton a échafaudé son histoire comme du très bel ouvrage d’art, avec une maîtrise rare, habitée d’un véritable esprit de compagnonnage. L’édifice romanesque est impressionnant de virtuosité, la langue est somptueuse. Le tout est éblouissant.

Nous sommes en 1886. Walter Moody est un jeune britannique qui, suite à un revers de fortune, décide de réinventer sa vie en devenant chercheur d’or en Nouvelle-Zélande. Après une traversée très éprouvante, il débarque à Hokitika, sur la côte ouest « règne de la boue et du hasard, où chacun était un étranger pour son voisin, étranger aussi au sol qu’il foulait ». À peine arrivé dans un petit hôtel où il trouve refuge, il assiste à un conseil secret entre douze hommes. Il y est question de la mort d’un misanthrope, de la disparition d’un riche prospecteur, de la tentative de suicide d’une prostituée fumeuse d’opium, d’une veuve qui fait du spiritisme, d’un ancien forçat capitaine de navire.

Entre révélations et retenues mystérieuses, nous suivons sur douze parties articulées à partir de cartes célestes, le déroulé de toutes ces affaires qui s’entremêlent : meurtre, trafic de drogue et d’or, chantage, cocuage, conspiration, trahison et vengeance. La psychologie des personnages, leurs actions sont ordonnées par le mouvement des planètes et des astres. Et si Eleanor Catton peut parfois nous perdre dans l’entrelacement des intrigues, c’est volontaire. « Le récit avait été rendu plus alambiqué  encore par des interruptions, des éclaircissements, des échos sans nombre… Les uns chassant les autres, s’enchâssant les uns dans les autres. Que de circonvolutions ! » Contrairement aux apparences, tout est sous contrôle. En milieu d’ouvrage elle remet habilement toutes les pendules de ses lecteurs à l’heure et rétablit une chronologie par un basculement du récit en sens contraire. En remontant le temps, au rythme d’une lune dans sa phase décroissante, la pagination des parties se réduit, elle aussi au fur et à mesure… « Comme suit aussi son cours, la grande sphère du présent, embrassant dans son illimitation, le passé captif de ses limites ».

En astrologie, les luminaires sont les deux planètes, le soleil et la lune, qui informent le plus sur la psychologie du sujet, car ce sont par nature, les plus éclairantes. Pas étonnant que l’auteur s’y réfère pour mettre en lumière les faces les plus intimes et secrètes de ses personnages. « Seul un esprit faible croit aux coïncidences. Une suite de coïncidences n’a rien d’une coïncidence ». Un argument qu’elle nous livre pour nous faire croire à la puissance des astres ? Dans ses remerciements en fin d’ouvrage, l’auteur reconnaît « avoir puisé dans les vastes et parfois hilarantes ressources astrologiques du site astro.com et dans le travail des astrologues ». Loin d’enlever du sérieux à sa démarche, c’est une façon élégante et amusante de nous dire qu’elle a surtout souhaité nous divertir et nous illuminer de sa vertigineuse imagination.

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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Ludique, intelligent et jubilatoire !

Surtout, lorsque vous serez face à ce pavé sur les tables des libraires, ne vous laissez pas décourager par son épaisseur, ce serait vraiment dommage. Dommage de passer à côté d’un véritable tour de force dont les pages transpirent le plaisir pris par l’auteure en l’écrivant. Plaisir qui se transmet progressivement au lecteur, de plus en plus heureux au gré de sa progression, alors que l’ingéniosité de la construction narrative provoque une connivence jouissive entre l’auteure et son lecteur.
L’histoire prend place en 1866, en Nouvelle-Zélande, dans la ville de Hokitika, un port en plein développement grâce notamment à la ruée vers l’or. Douze hommes sont réunis au bar d’un hôtel dans lequel vient d’arriver Walter Moody, un jeune britannique venu comme la plupart des habitants de la ville chercher fortune, changer de vie et laisser son passé derrière lui. Ces hommes ne sont pas là par hasard. Deux semaines auparavant, plusieurs événements mystérieux se sont produits – Emery Staines, l’un des prospecteurs les plus chanceux a disparu et Anna Wetherell, une prostituée a été retrouvée inconsciente au beau milieu d’une route – et ils veulent mettre en commun les fragments d’informations détenus par chacun d’entre eux dans le but d’élucider ces mystères. Dans un pays encore neuf où se côtoient des émigrants de tous continents (chinois, français, anglo-saxons…), où chacun a ses secrets, son passé et pas mal de choses à cacher, mettre au jour la vérité ne va pas s’avérer très aisé.

« Messieurs – (le titre rendait, certes, un son étrange, appliqué à la compagnie hétéroclite réunie dans la salle) – j’affirme qu’il n’y a pas de vérité entière, il n’y a que des vérités pertinentes… Or la pertinence, vous en conviendrez, est toujours une affaire de perspective. »

Il y a donc ces mystères à élucider, des disparitions en pagaille, de l’or qui se balade entre malles et coutures de robes, une usurpation d’identité, des « retours gagnants », des mensonges, des naufrages, des faux en écriture… Et voilà le lecteur embarqué dans ce qui tient autant de la chasse au trésor que du Cluedo, mâtiné d’astrologie. Chacun des personnages correspond à un élément astral, chacune des parties du livre à une date à laquelle est associée la carte des planètes dans les différents signes. Et l’intrigue avance en fonction des mouvements des planètes… Une façon originale et romantique de parler de destin ou de pré-destination.

Le roman est construit comme une spirale, un tourbillon qui s’affine au fur et à mesure des tours qu’il réalise sur lui-même. Chaque partie a un nombre de pages inférieur de moitié à celui de la précédente pour arriver à la dernière où, sur une simple page, l’ordre des événements de ce fameux 14 janvier 1866 est enfin reconstitué. D’où une impression d’accélération de l’intrigue après les deux-tiers du livre. A ce moment, le lecteur est déjà ferré, avide de connaître le fin mot de l’histoire, totalement accro à ces personnages dont la personnalité évolue sans cesse en fonction de la perspective depuis laquelle on les observe. Tout ceci servi par une belle écriture, dans la veine de celle des romanciers du 19ème siècle, ronde, précise, descriptive.

Plusieurs jours après avoir refermé ce livre, je suis encore sous le charme. Je parlais de tour de force en commençant cette chronique et c’est vraiment l’impression que laisse cette lecture. On est stupéfait autant que conquis par la dextérité de l’auteure. Heureux aussi d’avoir été jugé assez intelligent pour être invité à partager son jeu. Eleanor Catton aime créer. Et visiblement, elle aime ses lecteurs.

Retrouvez Nicole G. sur son blog

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