Admiré, adulé même, envié voire haï, Rudolf Noureev fut tout cela à la fois. Régnant sur les scènes du monde entier à l’exception de celles de la Russie, il fut le plus grand danseur de son temps, un chorégraphe novateur qui revisita le répertoire classique, un directeur hors pair qui fit de l’Opéra de Paris, la meilleure compagnie. C’est cet homme que met en scène Philippe Grimbert dans « Rudik ».
Au faîte de sa gloire, l’artiste, déprimé souhaite rencontrer le psychanalyste des stars, Tristan Feller. Il revient de son village d’enfance d’Oufa, où il a été autorisé, après 25 ans d’absence, à revoir sa famille. Mais la mère tant aimée n’a pas reconnu son « Rudik » : « Je n’ai pas de fils » a-t-elle soufflé dans un murmure, laissant Noureev dévasté.
Démarre une cure qui très vite quitte les règles de la déontologie pure et dure. Ebloui par son patient, le thérapeute s’éloigne des règles de la psychanalyse : « pas de neutralité bienveillante, ni de distance » mais une sorte d’envoûtement face à cet homme libre et insoumis qui s’est choisi son existence.
De son envol vers l’Occident à sa « Bayadère » dont très malade, il avait réglé les moindres figures et détails, défile la carrière de ce monstre sacré. Noureev réécrit son histoire car ce fameux « grand jeté » qui d’un saut prodigieux lui fit fausser compagnie aux gardes du KGB ne serait-il pas un fantasme ? Réalité ? Vérité ? Que cherche-t-on dans un travail analytique ? Car la vérité est ce « tissu de souvenirs remaniés, embellis par la mémoire dans lequel nous nous drapons, romanciers de notre propre histoire » là où la réalité est d’une objectivité sans faille.
Tristan Feller est le témoin du crépuscule de l’artiste qui ne lâche jamais, se montre tyrannique, lutte pied à pied avec la maladie qui finira par l’emporter à 55 ans.
En se glissant dans la peau de son personnage de thérapeute, Philippe Grimbert apporte à ce roman-récit une justesse et une grande proximité. Par son épouse, assistante de Noureev, l’auteur a approché le danseur et en dresse ici un portrait complexe, terriblement attirant : un être impérieux qui défia le monde et les hommes et pour lequel son Art était tout.
Fasciné comme le praticien, le lecteur suit avec passion le développement de cette analyse hors norme. L’artiste se serait-il prêté à pareille pratique ? Rien n’est moins sûr, son orgueil l’en aurait probablement dissuadé mais c’est le libre arbitre du romancier de l’imaginer dans ce texte attachant.