Il faudra qu’un jour un psychologue s’interroge sur les relations complexes qu’entretiennent les auteurs de romans policiers scandinaves avec leur héros. Le Suédois Henning Mankell avec Kurt Wallander, comme l’islandais Arnaldur Indridason avec Elendur Sveinsson ou le Norvégien Jo Nesbo avec Harry Hole, se sont habitués à pousser les curseurs au maximum. A côté du quotidien qu’ils décrivent, celui de l’Américain Harry Bosch (Michael Connelly) ou du britannique Jack Caffery (Mo Hayder) est un chemin verdoyant bordé de roses. A la longue, la cohabitation peut alors s’avérer usante. Parfois jusqu’à la cassure…
Addiction à l’alcool, tentation pour les drogues, instabilité sentimentale chronique, l’existence de Harry Hole est d’autant plus chargée de handicaps que son pays natal semble ravagé par la déliquescence sociale. Sans doute le regard de son créateur noircit-il particulièrement la réalité. Mais sous ces latitudes, quel que soit l’auteur, les effets de la mondialisation virent au cauchemar sans fin. Comme si chaque polar venu du froid nourrissait la nostalgie d’un Eden perdu, sans la moindre note d’espoir.
Dans « Fantôme », neuvième enquête de la série, un Harry Hole mal cicatrisé de sa rencontre avec « Le Léopard » retrouve son Oslo natal pour tenter de se reconstruire. Viré de la police, il découvre une ville où les trafiquants semblent avoir rebattu les cartes. Mis sur la piste du meurtre de l’un d’eux, renouant au passage avec son ex (voir « Le Bonhomme de neige »), il met au jour un complot où trouvent leur compte la politique locale, la hiérarchie policière et un mystérieux truand russe sans visage, le fameux « Fantôme ».
Moins sanglante que la précédente, cette enquête n’en mène pas moins Harry Hole droit dans le mur. Trop seul et trop usé pour tout encaisser. La lumière qui l’anime vacille à mesure qu’il passe d’un salaud à un lâche, d’un traitre à un assassin. L’auteur fait d’Oslo une cousine de la Baltimore de « The Wire ». Corruption, racisme et drogue à tous les étages. Les chiffres de ventes et l’intérêt que lui porte le cinéma lui donnent raison. La presse US a même fait de lui le nouveau Stieg Larsson… L’attente et la pression sont fortes. Jo Nesbo y répond en invoquant ses propres démons, quitte à sacrifier le personnage qui lui a valu la fidélité du public.