Edward Hopper et sa mélancolie silencieuse ne sont pas loin dans ce recueil de nouvelles qui mettent en scène l’Amérique du milieu du XXème siècle et les multiples visages de sa désillusion. Sans pathos, ni coups d’éclat, ces petites tranches de vie ainsi rapportées instillent leur poison. Ici, le petit nouveau, tout droit venu de New York, mais godiche quand même, peine à dire son nom (et l’on revoit « Charbovari » et sa casquette) et à trouver sa place parmi ses camarades. Plus loin, une pimpante fiancée espère un moment d’intimité avec celui qu’elle épousera le lendemain mais se voit préférer, déjà, les copains et le match de baseball. Ailleurs encore, c’est un époux tuberculeux qu’il faut bien aller voir le dimanche après-midi, dans un immense dortoir peuplé d’ombres en robes de chambre où grésillent les radios de ceux qui restent seuls, tandis qu’un petit jeune homme joyeux attend patiemment dans la voiture (« Mais après tout, n’était-ce pas presque comme si elle était veuve ? »).
Chacun à sa façon, traversé par les déceptions du quotidien, fait connaissance avec les multiples variations de l’amertume, que la vie, parfois, nous oblige à déguster en silence.
Dans le titre original, il est question de onze espèces de solitude (Eleven kinds of loneliness) : autant de déclinaisons d’une souffrance intemporelle. Un troublant moment de lecture, dont on ressort l’âme barbouillée.