Le lecteur français connaît surtout Irvin Yalom pour ses romans, le savoureux « Et Nietzche a pleuré » ou « Le problème Spinoza » (Prix des lecteurs du Livre de Poche 2014). À partir d’une situation fictive – par exemple, Nietzsche sommé par Lou Salomé d’entreprendre une psychanalyse avec Breuer – Yalom entremêle habilement histoire, philosophie et psychanalyse. Ancien professeur de psychiatrie à Stanford, en Californie, Yalom a vite pris ses distances avec la psychanalyse freudienne, mettant au point ce qu’il nomme la « thérapie existentielle », centrée sur les problèmes fondamentaux qui se posent à l’être humain : la relation à l’autre, le dévoilement de soi, l’ici et le maintenant, la mort. Sa particularité est de s’appuyer sur des exemples littéraires qu’il utilise comme des outils thérapeutiques. Épicure, Montaigne, Nietzsche, Tolstoï, Rilke ou, dans son dernier livre, Marc-Aurèle auquel il emprunte l’exergue et le titre de « Créatures d’un jour » : « Nous sommes tous des créatures d’un jour. Et celui qui se souvient, et l’objet du souvenir. Tout est éphémère. » C’est à cette prise de conscience qu’il amène ses patients afin, d’une certaine façon, de les sauver d’eux-mêmes, des pièges de la rivalité, du déni, de l’angoisse de mort, de la souffrance. Souvent âgés ou gravement malades, à l’heure du bilan mais encore empêtrés dans leurs contradictions, leur conflit intérieur, leur manque d’estime de soi, venus parfois de loin pour consulter le célèbre Professeur, véritable star mondiale, ils sont prêts à payer très cher dans tous les sens du terme pour ces entretiens – parfois une séance unique – auxquels nous fait assister Yalom. Une ancienne danseuse de la Scala de Milan, une poétesse qui n’a jamais publié, une amie inconsolable, une cancéreuse en phase terminale, une infirmière en soins intensifs : en tout dix « créatures d’un jour » dont la problématique nous est narrée, sans que jamais ces personnes soient réduites à un diagnostic ou un « cas ». L’art du récit, le sens du dialogue de Yalom, ses qualités d’écrivain, son humour, sa finesse, son humanité, font de ces entretiens des nouvelles passionnantes dont la chute s’apparente parfois à un tour de magie. L’essentiel repose sur la relation privilégiée entre le thérapeute et son patient. Car, à l’inverse de la psychanalyse traditionnelle, Irvin Yalom ne s’abrite pas derrière sa neutralité, fût-elle bienveillante. Il s’expose, se montre avec ses forces et ses faiblesses, ses limites, son expérience et ses émotions, persuadé que c’est la relation thérapeutique elle-même, dans sa richesse et sa réciprocité, qui porte en elle les germes de la résolution du problème. Mieux que dans la fiction, et plus facilement que dans ses essais théoriques, il nous fait participer à ces dialogues et comprendre bien des choses sur nous-même. Ne sommes-nous pas tous, nous aussi, des « créatures d’un jour
A voir, le superbe documentaire de Sabine Gisiger : Irvin Yalom, la thérapie du bonheur. Au cinéma le 21 mai 2015
À lire aussi : Irvin Yalom, Le jardin d’Épicure, Le Livre de Poche (7,10€)