Au nom de Sa Majesté
Laurent Graff

Le Dilettante

158 p.  14 €
ebook avec DRM 6,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Fantaisie insulaire

Quel drôle de livre que celui-ci. À peine l’a-t-on refermé que l’on a envie de le coller à son oreille, persuadé que l’on entendra comme pour certains coquillages, la mélodie des vagues. Il en faut du talent pour créer cette illusion et emporter ainsi le lecteur en lui mettant du sel de mer au bord des lèvres et des embruns dans les cheveux. Alors si vous êtes en mal d’océan ou de bords de mer, si vous aimez les auteurs qui ont du style, ce livre est pour vous.

Sur la petite île bretonne de Houat, un jeune écrivain qui est aussi le narrateur est venu écrire dans la solitude et l’inspiration qu’offre la vie insulaire hors saison. Il souhaite ainsi, installé durablement dans cette île, se confronter à son travail d’auteur et à lui même. Une rumeur folle circule chez les habitants: le prochain James Bond devrait être tourné chez eux. Ce jeune étranger repéré sur la côte en train de prendre des notes serait un membre de l’équipe de production. Info, intox ? Le maire et ses adjoints (François I, II et III irrésistiblement drôles) débarquent chez la logeuse du garçon pour interroger ce dernier sur cette opportunité unique, médiatique, économique et touristique pour leur île. Ne voulant pas leur faire perdre leurs illusions, il décide de ne pas démentir et d’entretenir cette « vérité potentielle ».

Ce texte protéiforme requiert d’ouvrir son esprit et d’accepter de se laisser surprendre. L’auteur démarre par 70 haïkus libres ou impromptus iodés, puis enchaîne sur une partie plus romanesque façon «cloche merle en l’île» où il intègre même un extrait de scénario d’un James Bond parodique. Enfin, il termine par des réflexions autofictionnelles sur l’écriture et sur son chemin de Damas vers la publication. C’est décoiffé et décoiffant. Mais le tout est tenu par la beauté du style de Laurent Graff qui avoue sans que cela nous étonne une grande admiration pour l’œuvre littéraire de Jean-Philippe Toussaint.  « Sens du dégraissage, énoncé elliptique, focale intimiste, ton frais, léger, entre terre et ciel, pas loin de l’hébétude ». Tels sont les termes qu’il choisit pour qualifier le travail de l’auteur de « La salle de bain » et de « L’urgence et la patiente ». Il y a tout cela aussi chez Laurent Graff. Mais en plus, il y a le sens du cocasse, du détournement et du mélange des genres. Bien qu’il déclare que l’ « on peut partager un repas, un film, un moment, une émotion mais pas une île » ce livre est l’entière démonstration du contraire. En images, en sons, en lumière et par la musicalité de sa langue il nous fait aimer sa vie insulaire. Alors partageons cette jolie prose poétique :

« On ne rêve pas d’écrire : on écrit.

Écrire c’est en venir aux mains.

Écrire comme peindre : en laissant faire la main.

Et la main de cette manière se fait.

L’écriture est le rêve d’un rêve ».

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