Le Corbusier - Mesures de l'homme à Beaubourg
En s’élevant par l’escalator de Beaubourg, on se surprend à imaginer la critique qu’en aurait fait Le Corbusier, tellement l’homme a influencé notre regard sur l’architecture. C’est la force de cette transmission qu’éclaire l’exposition du Centre Pompidou. La scénographie réussit une sobre présentation de la production protéiforme de l’architecte au fil de sa carrière : des villas privées des années 1920 à la ville humaniste de Chandigarh, mais aussi revues, film manifeste des CIAM[1] ou du Modulor, peintures, mobilier, livres illustrés ou poème électronique. L’exposition, quelque peu hagiographique, met bien en évidence les influences et collaborations de Le Corbusier : de ses larges emprunts à ses contemporains (Léger, Matisse, Picasso) à ses réalisations avec Ozenfant, Jeanneret, Perriand, Savina, Xenakis, ou encore Maxwell Fry et Jane Drew. Au plan pédagogique, le manque de contextualisation historique a laissé la porte ouverte à la polémique qui s’est bien vite emparée de l’erreur, réelle, de ne pas avoir mentionné le séjour à Vichy de mai 1941 à juillet 1942 de l’architecte. Et cela même si, sans plus de commentaire, sont exposées les toiles picassiennes et pro républicaines, La Chute de Barcelone (1939) et L’Horreur surgit (1940), où apparait déjà le motif de la main de Chandigarh. Évoquer les relations de l’architecte avec le Front populaire puis Vichy, et, dans l’entre-deux-guerres, ses projets à Genève, Moscou, Rome, Alger, Rio, Buenos Aires ou New York aurait dit la complexité de l’artiste, sans pour autant le considérer fasciste ou nuire à son énergie créative. Est-ce par crainte de fragiliser la candidature d’inscription d’un ensemble corbuséen sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco et la démonstration « humaniste » de l’exposition ? Le catalogue Le Corbusier – Mesures de l’homme renforce l’approche scientifique de l’exposition. On se perd un peu dans la bibliographie raisonnée, mais l’iconographie est exceptionnelle. Parmi les propos érudits, l’article « le corps sportif corbuséen » de Rémi Baudouï et Arnaud Dercelles est à lire pour l’intérêt de la mise en contexte. Pour les budgets plus serrés, signalons la monographie de Guillemette Morel Journel dans la collection « Carnets d’architectes » des Monuments nationaux et la réédition du Le Corbusier – La Planète comme chantier de Jean-Louis Cohen. Enfin parmi ces publications du cinquantenaire de la mort de Le Corbusier, le livre le plus charmant, Les Heures claires de la villa Savoye, consiste en une variation à quatre mains à partir des plans et une poignée de lettres d’Eugénie Savoye, femme aisée et moderne de l’entre-deux-guerres. Jean-Marc Savoye, son petit-fils (par ailleurs co-créateur de o n l a l u), en est l’auteur et Jean-Philippe Delhomme l’illustrateur. À partir de presque rien, leur variation incarne la transformation sociologique profonde des sociétés occidentales après la Première Guerre mondiale et la fluidité du mouvement dans cette maison corbuséenne. Bouleversements que le Corbusier a saisi au point d’apparaître encore aujourd’hui comme un architecte visionnaire. |
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