C’est une pépite oubliée depuis 1976 qui vient d’être exhumée : « Le Garçon aux icônes » est le premier roman de l’écrivain irlandais Desmond Hogan, traduit aujourd’hui en français. Tout comme l’histoire de sa publication, voici une œuvre nimbée de clair-obscur, dont le héros, un personnage aux semelles de vent, est tout aussi énigmatique que son auteur.
Au printemps 1972, Susan O’Hallrahan est fébrile ; dans sa boutique de confection, elle peine à se concentrer sur les commandes de robes pour les épouses et filles de notables de Ballinasloe, une petite ville irlandaise du comté de Galway. Son fils, qui va bientôt avoir dix-huit ans, lui a écrit pour annoncer son retour d’Angleterre où il vit de petits boulots. Susan est veuve depuis la naissance de Diarmaid qu’elle a élevé seule, dans une vie à deux sans relief, une cohabitation presque silencieuse jusqu’à la fin de l’adolescence du garçon. Elle n’a jamais vraiment compris cet enfant différent, solitaire, taiseux, ce « petit Christ » qui protégeait les animaux perdus et fabriquait de petites figurines avec des bouts de ficelle et du carton. Mais la visite tant attendue est un échec, le fils prodigue repart presque aussi vite qu’il est arrivé, fuyant les regards inquisiteurs de sa mère et ses insinuations sur sa vie sentimentale. Non seulement Susan refuse l’idée que son fils disparaisse à nouveau, mais elle se lance à sa poursuite, dans une odyssée obsessionnelle à travers l’Angleterre, qui la mènera de Londres à York et retour. Mais si sa quête s’avère infructueuse, Diarmaid s’éloignant dans des combats toujours plus radicaux, elle révèle les sentiments ambigus qui la déterminent. A cinquante-trois ans, Susan est confrontée aux questions existentielles qui reflètent celles de l’Irlande du début des années 1970 dont le traditionalisme et le passé héroïsé doivent se colleter à la culture populaire, à l’émancipation des femmes, au mouvement hippie qui fascine et repousse à la fois. Blottie dans l’ombre portée de Diarmaid qui toujours la précède, Susan triture ses préjugés sur la féminité et ressasse avec nostalgie l’innocence perdue, ses impressions de voyage se surimposant à ses souvenirs du temps de guerre, dans un constant va-et-vient entre passé et présent, le tout ponctué par des refrains de chansons. En véritable pécheresse qui confesse ses regrets et ses fautes au fil de ses réminiscences, Susan accomplit le chemin de croix que trace à son intention son fils vénéré qui ne peut exister que loin d’elle.
Sensations et perceptions fuyantes composent « Le Garçon aux icônes », dont l’auteur recourt à la parabole et à la poésie pour raconter avec luminosité et finesse un moment charnière de son pays à travers les errances d’une mère dans les pas de son fils. Desmond Hogan transfigure cette recherche éperdue en subtil portrait de femme qui se brûle les ailes, incapable d’atteindre à l’idéal d’amour et d’abnégation, mais revenue humble, consciente du mystère en toute chose.