Barsakh
Simon Stranger

Bayard jeunesse

156 p.  12,90 €
 
 
 
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Le 20 juin est la Journée annuelle des réfugiés. L’occasion de foncer sur un remarquable roman pour adolescents (dès 14 ans), « Barsakh » de Simon Stranger (traduit du norvégien par Hélène Hervieu ). La rencontre improbable entre Emilie, jeune Norvégienne nantie en vacances avec sa famille aux Canaries, et Samuel qui, à quelques semaines de ses 18 ans, a quitté son Ghana natal et les siens pour tenter de rallier l’Europe, d’y trouver du travail et des papiers.

Ce très beau roman nous parvient maintenant en traduction française mais il est sorti en Norvège en 2009 – l’auteur avait alors 33 ans – avec le soutien de NORLA, on ne s’en étonne pas (NORLA promeut la littérature norvégienne de qualité). S’il n’a rien perdu de son actualité, la question des réfugiés revient tous les jours dans les médias, il braque l’attention sur une autre mer que la Méditerranée et une autre terre d’asile que Lampedusa ou la Sicile. En effet, ici, les candidats au départ, avec passeurs et mauvaises surprises, tentent de rallier les îles Canaries depuis l’Afrique de l’Ouest, d’où ils peuvent entrer plus facilement en Espagne que via Gibraltar. Une route qui était sans doute plus fréquentée au moment de la sortie du livre qu’aujourd’hui.
« Barsakh », le mot qui donne son titre à ce très beau texte illustré de quelques photos en noir et blanc, est un mot arabe qui, dans l’islam, correspond au stade où, après la mort, on séjourne dans l’attente du jugement dernier. C’est aussi un mot qui est peint sur un mur du port du Sahara occidental d’où Samuel va partir. C’est enfin un slogan, une sorte de défi, que chantonnent les candidats au départ, « Barcelone ou Barsakh » (Barcelone ou la mort).

Simon Stranger est un auteur norvégien

La construction de ce roman dense qui n’évite aucun des sujets difficiles de l’immigration clandestine (passeurs, violences, traversée, soif, faim, danger de mort, peur) est fort intéressante parce qu’elle fait se rencontrer Emilie, devenue récemment anorexique mais au cœur et au courage immenses, et Samuel, un des Africains rescapés d’une éprouvante traversée de vingt-quatre jours, tout aussi courageux dans sa recherche d’un sort meilleur pour lui et les siens – qu’avait-il à perdre dans ce pays qui avait déjà détruit son père?

L’adolescente faisait un jogging, elle a vu le bateau en piteux état arriver. Il lui a fait signe. Elle a couru les aider, sans réfléchir. Elle a aidé à tirer la barque au sec, à abriter ses occupants dont une maman avec un bébé d’un an, à nourrir les affamés déshydratés. Sans le réaliser, par humanité simple, elle est aussi entrée en clandestinité: de sa famille à laquelle elle ne dit rien, de la police à laquelle elle cache l’arrivée des réfugiés.

Samuel, lui, sait les risque que les migrants encourent sur l’île après ceux qu’ils ont dû affronter en mer. Les mineurs sont accueillis, les majeurs seulement s’ils arrivent à se cacher pendant quarante jours. Les dissensions dans le groupe montrent la gravité de la situation.

Mais entre les deux ados, c’est une rencontre immédiate et profonde. Ils se posent des questions, se racontent et nous racontent leurs existences en des voix qui alternent. On en tremble, on en a mal au ventre parfois. Que d’injustice, que de désillusions. Que d’espoirs aussi. Et c’est Samuel qui a frôlé la mort de près qui posera à Emilie les questions pour la remettre sur le chemin de la vie.

Pas de morale, pas de sentiments mièvres mais une magnifique rencontre qui se construit sur des faits réels, les fréquents troubles alimentaires dans le pays de la première, la fuite d’un pays sans avenir pour le second. Ce croisement de deux réalités sans rapport l’une avec l’autre a permis àSimon Stranger de balancer un formidable roman.
retrouvez Lucie Cauwe sur son blog

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