En cette période d’examens et de concours où beaucoup sont noyés dans leurs révisions, « Carnets de thèse » est une bande dessinée irrésistible sur le monde impitoyable des doctorants et leur chemin de Damas. Une lecture qui offre une détente garantie pour ceux qui planchent ou ont planché sur une thèse ou autre concours. Pour les autres qui les soutiennent ou les subissent, cette lecture est hilarante par effet miroir, le plus souvent déformant. Enfin, pour les personnes qui ne sont pas concernées, elles riront tout autant de bon cœur car le trait de Thiphaine Rivière est plus que vif, qu’il s’agisse de son trait d’esprit ou de son trait de crayon. Concernant ce dernier, ne vous arrêtez pas au dessin qui peut à première vue sembler un peu trop « girly », cette farce tragi-comique aussi cocasse que cruelle s’adresse à tous les publics.
Jeanne Dargan, jeune professeur en Zone d’Education Prioritaire est totalement débordée par ses élèves de 4e qu’elle ne tient plus. Ce qui est un pléonasme. Pour échapper à cette classe du collège « Molotov » qui la rend dingue ou la déprime, elle décide de se mettre en disponibilité pendant trois ans pour se lancer dans une thèse sur « Le motif labyrinthique dans la parabole des portes de la loi du Procès de Kafka ». Ainsi en tant que doctorante, elle s’imagine donner paisiblement des cours à la Fac et endosser les beaux habits de « Chercheuse ». Pense-t-elle. Tous les moyens sont bons pour fuir sa Z.E.P, même le pire.
C’est sans compter sur ce qui arrive à la majorité des doctorants : un naufrage professionnel et personnel. Qui dit thèse dit aussi : embourbement dans le temps, dépression, vieillissement précoce, précarité économique, insomnies, couple en danger (deux couples sur trois se séparent), incompréhension totale des proches avec cette sempiternelle question : « Alors cette thèse ? ». Un véritable serpent de mer. N’en jetons plus. Si ce n’est l’estocade : l’abandon en cours de route pour 60% des 9000 inscrits par an. Alors que la secrétaire au département des thèses tente de dissuader Jeanne de s’inscrire d’un : « Faudra pas dire que personne vous avait prévenue, faudra pas dire j’ai plus d’argent, j’ai plus d’amis », dans un enthousiasme débordant qui frise la naïveté, elle décide de faire fi de ces conseils et s’engage sans peur ni reproche sur les chemins venimeux de cette catastrophe annoncée.
On se régale de cette nouvelle vie qui n’en est pas une, ce « tout petit monde » comme le qualifie David Lodge, théâtre de toutes les mesquineries. Dans ces jeux de cirque du pouvoir intellectuel, les personnages de cet album sont croqués avec beaucoup de justesse que ce soit le directeur de thèse aux abonnés absents ou les collègues au CV qui tue « doctorante, agrégée normalienne et allocataire monitrice, diplômée d’HEC ». L’auteur s’autorise des métaphores visuelles qui auraient pu tomber à plat et qui sont percutantes et drôles comme les amphis tels des fosses aux tigres affamés.
Si cette BD est si percutante, c’est que Tiphaine Rivière connaît plus que bien son sujet. Elle a jeté l’éponge de sa thèse après trois douloureuses années qui lui ont offert toute la matière de cet album qu’elle a dans un premier temps fait vivre à travers un blog, « Le bureau 14 de la Sorbonne ». Si elle fait mouche à chaque page, c’est qu’elle maintient un juste équilibre entre comique et férocité sans jamais tomber dans la caricature revancharde de celle qui a échoué. Elle a lâché sa thèse pour la bonne cause finalement puisque nous avons entre les mains un album intelligent, bien vu et bien senti dont le succès critique et commercial est des plus mérités.