La 4ème de couverture précise que Fitzroy Maclean, grand ami de Ian Fleming, aurait inspiré le personnage de James Bond. Si Fitzroy Maclean peut largement être qualifié de baroudeur de la diplomatie (j’y reviendrai), oubliez le côté missions létales pour sauver le monde, gadgets et petites pépés canonnissimes. On est dans le vrai, on est dans le dur, on est au plus près du terrain, diplomatique pour commencer et militaire ensuite.
Fitzroy Maclean, après un premier poste à Paris, débarque à Moscou à la veille des purges staliniennes. Outre le compte rendu des procès ubuesques de Boukharine et compagnie en 1938 (les fameuses purges staliniennes), aboutissant à la liquidation de pseudos-dissidents pour l’exemple par le régime en place, Maclean passe son temps libre (et parfois son temps professionnel) à essayer et, parfois, réussir à pénétrer toujours plus avant dans les territoires que le gouvernement russe voudrait protéger de toute intrusion étrangère : des rues de Moscou aux rives de la Mer Noire en passant par l’Afghanistan, l’Azerbaïdjan, le Turkmenistan, l’Irak, le Kirghistan ou les provinces limitrophes de la Chine, devenant pour nous un formidable décrypteur d’un monde en plein changement, à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale. Fitzroy Maclean ne craint pas de délaisser la vie de bureau pour une vie de terrain trépidante et à la marge, à la découverte d’un univers auxquels peu d’occidentaux ont eu accès.
Puis vient la guerre et la volonté de Maclean de s’engager dans l’armée, chose qui lui est tout d’abord refusé. Mais, par un biais follement anglais, il trouve le moyen d’imposer sa démission à sa hiérarchie au prétexte… de faire de la politique ! En fait de politique, il se fera élire député pour être laissé en paix par les autorités anglaises et finalement envoyé en Afrique où il rejoindra une unité qui fonctionne un peu à la façon des « Têtes Brûlées » dans le Pacifique (le Special Air Service) : des actions derrières les lignes ennemies, etc… Ce qui frappe dans cette partie c’est le côté aventurier, baroudeur et débrouillard de Fitzroy Maclean, déjà entraperçu dans la première partie du livre, qui passe pas mal de son temps en préparatifs et en traversées (au sens premier du terme) hasardeuses du désert pour réaliser des missions qui ne sont pas toujours couronnées de succès.
La troisième partie, peut-être l’heure de gloire véritable de Fitzroy, correspond à sa mission, toujours pendant la Seconde Guerre Mondiale, auprès de Tito, chef des partisans yougoslaves, en guérilla ouverte contre l’envahisseur allemand. Si le récit de Fitzroy peut paraître parfois un peu longuet, le temps qu’il prend d’une part en descriptions et d’autre part en explications du contexte historique (et notamment toute l’histoire de la Yougoslavie du 14° siècle au début de la Seconde Guerre Mondiale) est salutaire et son didactisme ne fait que donner plus de cohérence, d’importance et de clarté à son propos. Des ordres tenus de Churchill à la rencontre avec Tito, Fitzroy Maclean a été le témoin, pendant la Seconde Guerre Mondiale (et un peu avant lors de son passage en Russie), de ce que sera l’Europe de l’Est après la fin de la guerre, de la poudrière que sont encore aujourd’hui les Balkans et les Républiques, ô combien fragiles, de l’ancien bloc soviétique.
Ce qui frappe le plus dans le personnage et le caractère de Fitzroy Maclean, c’est cette perpétuelle capacité à être là où on ne l’attend pas, à y exceller : du Moscou de la fin des années trente aux évènements fondateurs de la Yougoslavie de Tito et annonciateurs des troubles contemporains en passant par la guerre du désert entre 40 et 42. Chaque lecteur, en fonction de ses affinités historiques ou, comme moi, lacunes à combler, se passionnera pour une partie plus que pour une autre, mais force est de constater que ce livre, initialement publié en 1949 à peine 4 ans après la fin de la guerre, possède une force évocatrice de cette époque sans pareille et conserve encore aujourd’hui une pertinence toute contemporaine dont il serait dommage de ne pas profiter.
« Hotement » recommandé pour son intérêt historique, il faut passer outre le côté parfois un peu terre à terre et très détaillé de Fitzroy Maclean et ne pas se laisser débordé par la pléthore de noms de lieux, de personnages et garder en mémoire quelques passages chocs fortement évocateurs des époques traversées par l’auteur, notamment, en troisième partie, le regard de cet officier allemand qui se désole de la défaite à venir parce que l’Allemagne ne pourra pas tenir assez longtemps pour profiter de l’inévitable guerre idéologique qui surgira entre les Alliés et les Russes (ce qui relevait encore de la prémonition en 1945) ou de ce général russe rencontré par l’auteur juste avant son départ de Yougoslavie en 1945 qui s’étonne de rencontrer un occidental ayant vécu les purges staliniennes et juge dans un souffle que cela devait être compliqué pour un occidental de comprendre ce qui s’est passé à ce moment-là… marquant ainsi déjà le fossé existant entre les pensées occidentales et russes qui n’est pas sans rappeler le fossé existant aujourd’hui entre occidentaux et russes, comme si l’histoire n’était qu’un éternel recommencement.