Crocs
Patrick Dewdney

La Manufacture des livres
policiers
juin 2015
190 p.  15,90 €
 
 
 
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coup de coeur

Un homme court. Il court à la fois vers quelque chose (le « Mur », un barrage de rétention d’eau) et à la fois pour fuir quelque chose ou quelqu’un, peut-être un passé.

« Crocs » fait indéniablement partie des romans dits de nature writing. Ceci étant dit, il pousse cette écriture au-delà de ce que j’ai déjà lu. Si, comme tout roman de genre qui se respecte, il personnifie la nature pour en faire un être vivant palpable, conscient, agissant, Patrick K. Dewdney pousse cette personnification dans toutes ses phrases. J’ai rarement vu une telle humanisation de la nature et de l’environnement. Chaque verbe, chaque adjectif attribué à la nature porte en lui cette humanité, cette capacité de réflexion et d’action propre à l’homme.

Cette humanisation est tellement poussée que même la pioche du fuyard, pourtant faite de bois et d’acier façonné par l’homme, est plus vivante que son porteur : « Je ne dois pas oublier de me méfier de la pioche. Pour l’instant, docile, elle se laisse porter et se contente de meurtrir. Lentement. Mais je devine aussi quel torrent de sucs a assemblé ses fibres, et quel feu blanc a façonné sa tête. Je devine quelle rébellion pourrait lui murmurer les remous de la sève sauvage. ». L’homme, s’il est respectueux de la nature et de ses habitants, n’en est pas pour autant dans la posture de celui qui apprend de la nature. Chez Patrick K. Dewdney c’est la nature qui enseigne à l’homme, qui prodigue et dispense ses conseils et avertissements… Cela fait toute la différence ! Ce n’est ainsi pas l’homme qui, dans sa fuite, choisit son rythme. Celui-ci lui est dicté et imposé par la nature.

A contrario donc de la nature, l’homme reste passif. A telle enseigne qu’il en est ravalé à l’état animal dont les analogies jalonnent le livre. Tour à tout membre d’une meute ou rampant tel un vers de terre, l’homme en est réduit à son animalité.

Chaque étape de la fuite de notre personnage principal est entrecoupée du récit succinct de sa vie passée : militantisme, amour, paternité, vie de couple, désamour,… ces chapitres sont autant de renonciations de l’homme face à un mur, celui de la vie. Certains arrivent à passer par-dessus ce mur, ou à votre avec, d’autres finissent par le faire voler en éclat comme cela semble être le cas ici. Je dis semble car c’est là l’écueil du livre, son seul peut-être : on ne sait pas où on va mais on n’a pas plus l’impression que le personnage principal le sache plus, au fond de lui-même. On sait qu’il fuit mais on ne sait pas quoi. On sait qu’il fonce vers quelque chose mais on ne sait pas trop ni vers quoi ni pourquoi. Le livre aurait encore gagné à être plus concis que ce qu’il est déjà.

Cela étant dit, ce petit bémol ne gâche pas une lecture tout en tension qui, sans recéler un suspens (que je dirai de toute façon non souhaité par l’auteur, ce n’est pas l’objet du livre) insoutenable, amène petit à petit le lecteur vers la révélation d’une vérité, celle d’un homme qui erre, dans sa folie et au milieu de celle de la vie.

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