« La première fois où Sophie me vit, j’étais sur scène. » C’est par cette phrase que démarre ce roman signé d’une jeune trentenaire inconnue, Anna North. D’emblée apparaît un élément récurrent du récit : le narrateur se place en position de sujet « vu » par Sophie. Se décrit, et existe par le regard de l’autre. Allison n’évoque pas le souvenir qu’elle a de celle qui est le personnage central de cette fiction, elle met en scène sa perception d’elle. Allison est apprentie et Sophie, qui deviendra son mentor, une jeune réalisatrice à la personnalité complexe. Celle-ci, au prix d’incompréhensions, d’élans de tendresse (d’amour?) et de manipulations, parvient à obtenir le meilleur d’Allison. Sans que le lecteur ne parvienne à deviner s’il s’agit de perversion, d’obsession…ou juste d’un fonctionnement difficile à comprendre, puisque Sophie est racontée en creux par ceux qui l’ont connue, aimée et…rejetée. Tour à tour son frère, Robbie, Jacob (un rocker qui l’épousera), un ancien petit ami ex-gloire du basket (qui fut son premier personnage de film documentaire), un producteur sur le déclin : tous offrent leur perception du caractère de Sophie. Le puzzle se complète peu à peu, construction bancale de l’image que le lecteur se fait de cette jeune femme obsédée par la perception qu’elle a de son art cinématographique. Rien ne semble compter au regard de cette vocation, ni les sentiments de ses proches, ni son confort émotionnel… Son caractère s’éclaire (ou s’assombrit) en avançant dans cette lecture passionnante. Fort des souvenirs disséqués par son entourage qui établissent un portrait en creux peu amène, le lecteur vacille régulièrement. Notamment en lisant les coupures de presse d’un journaliste-fan décrivant le travail de Sophie.
Qui était vraiment cette jeune femme ? Une artiste obsessionnelle et vampire, se nourrissant des autres pour donner naissance à ses projets… ou une personnalité fragile, habitée par sa vision du cinéma qui se souciait peu des convenances et des règles de savoir-vivre ? Anna North, journaliste au « New York Times », signe là un premier roman étonnant de maîtrise et d’intelligence.