Sergueï Chargounov m’a ouvert son album de souvenirs et je m’y suis plongée avec délectation. Chaque chapitre est un flash, une parcelle de sa vie.
Ce qui m’a le plus marqué chez ce fils de pope anti-communiste c’est que je n’y ai trouvé aucune révolte, même lorsque Poutine brise sa carrière politique. L’écriture reste toujours fluide, agréable lire, celle d’un conteur.
Sergueï enfant n’est jamais entré chez « les enfants d’octobre » « Je suis resté en mauvais termes avec l’Union Soviétique pendant toute mon enfance. J’ai été le premier dans toute l’histoire de mon école à ne pas entrer chez les enfants d’Octobre. Je n’ai jamais été pionner non plus. » Ce qui rend encore plus irrationnelle sa nostalgie de « la patrie de son enfance ». Est-ce par nostalgie de son enfance ? Toute son enfance baigne dans cette dualité. Attiré par tout ce qui était soviétique, il adorait la clandestinité des antisoviétiques qui passaient chez lui, la littérature passée sous le manteau…
Jeune adulte, il créé son mouvement politique au « nom de la liberté et d’une vie meilleure » « Hourra ! », son oncle lui a dit de l’appeler ainsi, comme le titre d’un de ses livres. Il connait son heure de gloire, puis est descendu par ce cher Poutine qui prend ombrage de sa popularité et de ses idées.
A vouloir trop jouer franc-jeu, on se fait descendre. La chute est rude, il perd beaucoup de ses « amis ». « On m’avait détruit. On ne m’acceptait nulle part comme journaliste. Mes amis d’hier en politique m’évitaient comme un lépreux. Mes amis d’hier en littérature se réjouissaient de mon malheur. Seuls mes parents n’avaient pas changé. »
En créant son mouvement, Sergueï voulait faire non pas faire une révolution, mais faire évoluer son pays vers plus de justice, vers un meilleur développement.
Persona non grata à la télévision sur les ondes de radio, il obtient un petit reportage sur la Tchétchénie ; ironie du sort, la carte-mémoire lui est confisquée et donc plus de reportage.
Parcourant le pays, il découvre une autre vie beaucoup plus rustre, plus rude, plus dure. Je n’ai pu empêcher un haut-le-cœur en lisant ce qui suit « Le petit s’est approché son père l’a entouré de son énorme bras, a écrasé sa tête duveteuse contre son genou puissant et enfoncé la bouteille dans la petite bouche. » Il s’agissait de vodka et le gamin avait 2 ans !
De son voyage en province, il ramène un sentiment de démission, de nostalgie de l’URSS d’avant où les gens n’étaient pas abandonnés. L’impression, qu’actuellement, les russes éloignés de la capitale ne peuvent compter que sur eux-mêmes, se sentent et semblent être totalement abandonnés par le pouvoir. C’est quelque chose que j’avais ressenti en lisant Assan de Vladimir Makanine ou Un homme de peu d’Elisabeth Alexandrova-Zorina.
Sergueï Chargounov ne polémique pas, il raconte la Russie d’aujourd’hui. Je le sens imprégné de et par son pays. Son écriture est imagée, fluide, forte, sans apprêt ni concession. A l’inverse, les dessins de Vadim Korniloff, me paraissent saccadées montrent le chaos et me mettent mal à l’aise. Toutes ces mains qui enserrent, cachent, se prennent la tête, ces yeux fixes, ces regards sans vie expriment ce qui se cache derrière les phrases.
J’ai aimé cette lecture d’une Russie que l’on entr’aperçoit dans quelques reportages. L’impression d’un bateau à la dérive, d’un bateau ivre où la politique capitaliste menée par d’anciens oligarques fait beaucoup de victimes parmi les petites gens.
Un livre sans photographies mais très imagé. Un livre à lire. Une maison d’éditions qui nous ouvre les portes de la bonne littérature russe contemporaine. Déjà lu, en grandement apprécié, Les enragés de la jeune littérature russe de Monique Slodzian