Stations (entre les lignes)
Jane Sautière

Verticales
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août 2015
144 p.  14,90 €
ebook avec DRM 10,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Tout le monde descend

Jane Sautière est une auteure trop rare, aux textes d’une extrême sensibilité, intimes autant qu’universels. Qu’elle s’interroge sur les femmes qui n’ont pas eu d’enfants (le très intrigant « Nullipare », en 2008) ou évoque des souvenirs de vie associés à des vêtements ressortis d’une penderie (« Dressing » 2013), elle captive.

La magie opère encore avec ce nouveau livre. Récit de tranches de vie, souvenirs associées à des noms de rues, de stations de métro, de lignes de bus, de trains… Qu’il s’agisse d’épisodes personnels ou simplement de scènes devant lesquelles l’écrivaine s’est retrouvée spectatrice, les pensées et observations s’enchaînent. Certaines vous sembleront vôtres : « Rer B…On ne peut pas s’aimer, on est trop près : comme dans vie… ici, la vie est étrange, presque absente, nouée dans le grand organisme de la foule, qui produit du mouvement, mais pas de l’existence…Il y a un monde entre résignation et acceptation… » D’autres vous ramèneront à votre passé, proche sans doute : « …Barack Obama a été élu, c’est une joie forte, grande, j’ai du mal à en faire le tour. Dans les escaliers du RER, je dépasse un vieil Africain, claudiquant, vêtu d’un costume très élimé. Je sais qu’on partage la même fièvre. J’aurais dû lui dire, lui faire comprendre. Il y a des retraits déplorables et celui-là en est un. »

Comme ses compagnons d’infortune de transports en commun bondés, spectateurs impuissants d’une détresse ordinaire, Jane observe ou s’isole en écoutant de la musique ou la radio. Voit l’autre autrement en train, au gré de trajets en province. Que garde-t-on, au final, de ces moments de déplacements, plus ou moins longs, vécus différemment à 20, 30 ou 50 ans ? Voici un petit livre qui mériterait d’être offert aux voyageurs par la RATP et la SNCF !

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Jane Sautière a pas mal bourlingué, c’est un euphémisme que de parler de bougeotte en parlant d’elle. Cela lui a donc donné l’occasion de fréquenté à de multiples reprises les transports, en commun (Métro, tramway, RER à Paris comme à Lyon) ou pas (avions et trains ne sont pas en reste).

A travers ces transports, essentiellement ferroviaires, Jane Sautière s’attaque aux transports sentimentaux : amoureux, au fil de sa vie de couple et de sa séparation, personnels (c’est un peu à un voyage au cœur de ses sentiments et de ses sensations qu’elle nous invite), professionnels (parce que son métier l’a confrontée à toutes sortes de caractères humains déshumanisés dans le monde carcéral).

La première partie du livre (par ailleurs très court) place les transports au centre du développement de Jane Sautière comme cadre de vie, au gré de ses déménagements. Le moyen de transport, à travers ses lieux de départ et d’arrivée, devient alors un marqueur social propre d’une part à l’auteur et d’autre part aux lieux à proprement parler. C’est d’ailleurs une constante du livre que d’opposer la personne de l’auteur dans sa singularité et sa particularité à la multitude des transports : noyée par la foule des passagers, Jane Sautière reste pourtant seule mais surtout isolée. Les transports fonctionnent comme une gangue isolatrice.

Dans la seconde partie, Jane Sautière procède par sauts de puces, stations après stations, et nous livre sa vision des transports à travers le prisme de flashs, de sensations, d’images syncopées. C’est comme si vous aviez un petit livre fait d’images successives qui feuilletées rapidement créent un mouvement, une action… sauf que là, les images sont toutes uniques, toutes différentes les unes des autres. Le mouvement est alors saccadé, haché, brusque mais forme un tout cohérent.

Pour voyager dans le livre de Jane Sautière, il faut savoir lire entre les lignes, entre les stations. Le plus dérangeant dans ce livre étant finalement que le lecteur finisse par voir en Jane Sautière une voyeuriste qui a su darder un regard perçant et étourdissant sur les exhibitionnistes que nous sommes, à nous livrer ainsi aux regards de toute personne qui veut bien se donner la peine de lever ses yeux sur ses coreligionnaires de transports. On prend alors le risque d’aller trop loin et de se perdre entre les lignes…

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