Michel Embareck est journaliste, féru de rugby, passionné par la délinquance financière et la musique. Il y a un peu de tout ça dans son roman.
Michel Embareck (re)sort son détective privé Victor Boudreaux (je dis personnellement « sort » puisque je n’en ai pas lu d’autre et qu’il s’agit de sa quatrième aventure a priori) qui, depuis la Nouvelle-Orléans où il réside et entraîne de jeunes noirs défavorisés au lancer de marteau, se fait engager par les parents de Flaco Moreno, sorte de chanteur hispanisant avec un vernis d’alter-mondialisme et de grandeur d’âme, qui a trouvé intelligent de se pendre dans une maison d’un quartier mal famé de la Nouvelle-Orléans om il essayait d’enregistrer un nouvel album teinté de blues. Les parents ne croient pas au suicide et lancent Boudreaux sur les traces de l’assassin de leur fils.
Par obligation professionnelle, Boudreaux va rejoindre le Vietnam, où il a fait ses gammes militaires, avec son ami Earl Turnbinton. Ce retour aux sources est plus que difficile pour Victor qui, lors de son séjour armé, y a rencontré sa future femme, morte avec ses enfants dans l’incendie de leur maison. Il devra fuir l’Asie et rentrer en France où l’affaire Flaco Moreno prend une nouvelle tournure compliquée pour Boudreaux.
La trame narrative adoptée par Michel Embareck est, pour ce livre et selon ses propres dires, très différentes des trois précédentes aventures de Victor Boudreaux. Si la forme de l’histoire ne s’embarrasse pas d’un réalisme échevelé (ce n’est pas le plus important, me semble-t-il pour Michel Embareck, en l’espèce), y a un même un peu d’outrance dans tout ça, mais qui apporte une touche décalée, le fond est par contre plus fouillé pour balancer allègrement sur l’hypocrisie du commerce équitable, les trafics qui ont lieu en Asie avec l’aval plus ou moins direct des autorités locales qui ferment les yeux ou participent activement aux trafics ou y mettent un terme selon leurs propres intérêts, les magouilles politico-immobilières en France, les montages financiers qui n’ont d’autre but que d’arnaquer le chaland, etc…
Victor et Earl sont deux grosses machines baraquées propres à mettre des bâtons dans les roues d’à peu près n’importe qui avec des méthodes plus souvent du mauvais côté de la procédure et de la légalité que du bon, mais dont on ne peut nier l’efficacité ! Tu prends un pilier de rugby et tu as le portrait physique et intellectuel des deux bestiaux (Boudreaux en ayant un peu plus dans le crâne que son accort acolyte alcoolique).
Le style de Michel Embareck est bourré de références et de clins d’œil : aux films français des années 60-70 (tournures de phrases qui font mouche et atteignent leurs cibles sans coup férir aussi vraies que si elle avait été confiées à la meilleur gâchette de chez Raoul Volfoni), à la musique (le blues et le jazz sont omniprésents et pas uniquement dans la partie de l’histoire se déroulant à la Nouvelle-Orléans), pour ne citer que ceux-là.
Et puis, il y a d’excellentes trouvailles dont je ne citerai que celle-ci : rendre visite à un alcoolique avec une caisse d’alcool pour l’amadouer et l’attendrir, c’est bien, mais lui parler de couleur ferrugineuse en parlant de son intérieur, c’est tout bonnement drôle à s’en ternir les côtes. Pour ceux qui n’ont pas saisi, je les invite à chercher Bourvil sur Youtube…
Michel Embareck, en roublard de la langue française qu’il semble être, n’hésite pas non plus et s’amuse à sortir des phrases du genre « Et maintenant, flanqué de Victor, il planquait sous un ciel d’étoupe qui brumisait l’asphalte de reflets huileux », comme s’il ressentait le besoin, marin ou pas allez savoir, de faire des phrases mais voulait aussi se moquer de ce type de tournures emphatiques un peu lourdes et imagées qui squattent tout un pan de la littérature contemporaine. J’ose en tout cas espérer que c’est fait en ce sens ! Il travaille ses effets de styles, ses expressions, son vocabulaire pour faire de son roman un livre aux allures légères et débonnaires alors qu’il recèle (et pas uniquement de diamants) de fonds et de formes surprenants.
Et puis rien n’est jamais simple avec Michel Embareck. On a déjà vu que ses deux héros ne sont pas des saints. Flaco Moreno donnait l’image d’un chanteur altruiste alors qu’il ne s’agissait que d’un pourri avide d’argent tandis que le père ne croyant pas au suicide de son fils, lâchant Boudreaux sur les traces du meurtrier de son fils, cache également son jeu et son implication dans les magouilles locales et que la mère ne valant pas mieux s’envoyait en l’air avec l’ancien manager de son fils. Bonnet blanc et blanc bonnet que tous ces gens qui ont pour point commun (en dehors de Boudreaux et Turnbinton qui eux ont d’autres raisons d’être particuliers) de perdre pied avec la réalité, de s’enfoncer petit à petit dans un système parallèle qui prend le pas sur le système légal et fait tomber une à une toutes les barrières morales qui régissent (ou devraient régir) une société normale.
Pour finir, je dirai que si la construction de ce quatrième opus est réellement différente des trois précédents, je suis curieux de voir à quoi ceux-ci ressemblaient…