Avant de commettre ce premier roman « pour les grands », Luc Blanvillain se consacrait à la littérature jeunesse. Franchement, il aurait été dommage que son talent ne profite pas aux adultes comme moi qui, faute d’enfants auraient été privés d’une jolie découverte. Le monde du travail fait partie des sujets que j’aime retrouver en littérature. Ce que je recherche, c’est un vrai point de vue qui permette, à partir d’une observation fine d’éclairer les comportements et de questionner sur la société dans laquelle nous vivons. Nos âmes seules m’a apporté cela et un peu plus encore. Ce petit twist qui permet de passer du simple intérêt à l’adhésion.
Les personnages campés par l’auteur y sont pour beaucoup. Plus que le décor – pourtant sacrément réussi – c’est à travers eux que Luc Blanvillain parvient à captiver. Peut-être parce qu’on les connaît, on les a tous côtoyés à un moment ou un autre. L’arriviste ambitieux emmuré dans son rôle d’employé irréprochable, la jeune femme qui cherche à faire coller sa vie à celle que les magazines lui citent en exemple – super femme, super amante, super femme d’intérieure… et tout ça avec le sourire – , la pauvre petite héritière au bord du déséquilibre psychologique écrasée par l’image et les contraintes familiales, le chef d’entreprise aussi charismatique qu’autocrate et manipulateur et bien sûr, tous les collaborateurs d’une entreprise où l’évaluation à 360° engendre méfiance, calculs et hypocrisie. On les connaît mais, par la grâce de la plume de l’auteur, ils se révèlent beaucoup plus complexes que prévu, cachant sous des dehors à la limite de l’arrogance, de vraies failles. Résultat, on les plaint, on les regarde s’agiter avec une certaine tendresse, on s’inquiète pour eux, on les aime.
Si l’auteur a choisi La Défense, une tour de verre et une entreprise informatique, une SSII dont on n’a aucune peine à reconnaître les modèles qui ont servi à la dépeindre, ce n’est pas par hasard. Rien de mieux pour parler violence, déshumanisation, solitude. Paradoxe de l’entreprise où l’on n’a que le mot équipe à la bouche mais où chaque individu est obligé de ne penser qu’à lui s’il veut espérer survivre. Clément, le personnage principal est persuadé de maîtriser les règles. Redoutable animal, tendu vers le pouvoir, il n’avance ses pions qu’après mûre réflexion et semble avoir développé à la place de son cerveau une sorte de logiciel d’analyse tri dimensionnelle qui inspire ses actes et ses paroles. Sa compagne, Myriam est sa parfaite alliée. Ensemble, plus qu’un couple, ils forment une paire d’associés tournés vers la réussite. Avec le risque d’avoir oublié quelque chose en route. La rencontre de Clément et Meryl va peu à peu éclairer l’environnement du jeune homme d’un jour nouveau. Même si le processus est long, tout l’intérêt est dans la progression de Clément sur le chemin d’une sorte de désaliénation.
« Tu n’as jamais pris au sérieux l’inutile » dit Meryl à Clément. Magnifique phrase qui dit tout d’une vie d’asservissement à ce que l’on croit à tort être la réussite et au bout, le bonheur. Et l’auteur dépeint si bien les rapports au sein de l’entreprise que l’on comprend parfaitement comment Clément en est arrivé là. Au fur et à mesure que l’intrigue progresse, on le sent déstabilisé, en danger. Il est sur le fil et le processus est violent surtout qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive. Pas facile de montrer les combats intérieurs, la difficulté à s’extraire d’un carcan de certitudes et d’attitudes tissé pendant des années. C’est fait tout en finesse et on y croit.
J’ai quand même une tendresse particulière pour le personnage de Meryl, fille unique et orpheline de mère à l’âge de dix ans, forcément regardée comme l’héritière. Avec elle, Luc Blanvillain réussit un sacré portrait, loin des clichés habituels. Meryl ne se comporte pas en héritière, à peine en petite fille, elle a les idées certainement plus claires que son entourage et attend autre chose de la vie. Ni naïve, ni calculatrice. Blessée mais debout. Fragile et forte à la fois. Comme une petite lumière qui pourrait guider un voyageur égaré à retrouver son chemin.
Vous l’aurez compris, ce premier roman est une réussite. Terriblement actuel, il pointe du doigt les dégâts d’une société individualiste qui leurre et aveugle au point de créer des êtres tendus, perdus, isolés, incapables d’une vraie relation. L’espoir est là cependant. Dans l’autre, tout simplement.
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