« Chère Anne,
C’est le cœur lourd que je t’écris. (…) Tes mots ont repoussé la honte et la culpabilité qui m’ont envahi ces derniers jours, deux poisons s’insinuant en moi jusqu’au dégoût de vivre. » Ces mots sont ceux d’un professeur en pleine crise existentielle. Un attentat vient de frapper un marathon. L’auteur de ce geste meurtrier est un de ses anciens élèves et, parmi les victimes, figure le propre père du narrateur.
En imaginant un dialogue improbable entre l’enseignant au bord de l’effondrement psychique et Anne Frank, Hafid Aggoune oblige le lecteur à s’interroger. Quelle est la part de responsabilité de chacun lorsqu’un adolescent à la dérive n’est retenu par rien, ni personne, et s’enfonce dans une logique meurtrière ? L’actualité de ces dernières années est très présente dans cet ouvrage de la collection « Miroir » (dans laquelle un auteur réinvente un personnage en lui prêtant une nouvelle vie). Rappelons-nous l’attentat de Boston qui endeuilla son marathon, les attentats de janvier 2015 à Paris et Montrouge et tous ces assassinats perpétrés par des jeunes désœuvrés partis faire le djihad…
« Il n’y a que deux alternatives à l’enfermement : s’y perdre ou creuser une voie intérieure pour en échapper » est-il écrit. Anne avait choisi la seconde possibilité. L’enseignant quant à lui, est happé par cet enfermement causé par une double culpabilité. Celle qu’il éprouve vis-à-vis de son père, blessé, et qu’il a rejeté à l’adolescence (lui inventant un métier, kinésithérapeute, plus noble à ses yeux que celui d’ouvrier) ; mais aussi la culpabilité envers l’adolescent meurtrier à qui il porte des sentiments ambivalents. S’interroger sur l’autre, voir l’humain en lui et non ses fautes, n’est-ce pas faire un pas vers la guérison ?
Aller vers moins de dégoût de soi au prisme du Journal d’Anne F. n’était pas chose aisée pour le narrateur quadragénaire, pas plus que s’obliger à une introspection nécessaire pour retisser les liens avec son père, comprendre pourquoi ce dernier aime tant courir (quelle honte fuit-il ainsi sans cesse?). Ce roman, tout en finesse et fulgurances, étonne par sa maturité. Certains y trouveront peut-être matière à réfléchir aux réponses à apporter à la violence des individus. D’autres s’émerveilleront de cette fiction sur les liens entre père et fils. Mais nulle doute que tous devraient avoir envie de relire ce classique de la littérature…