Il arrive parfois qu’on se surprenne à changer d’avis sur un roman qui, en première lecture, ne nous avait pourtant pas bouleversé. Ainsi en est-il de cet étonnant Bestiaire, à la couverture peu attractive (sauf à aimer les emballages de boites de chocolat à bas coût ou ne pas être sensible à certaines formes d’art). Les bémols ressentis au fil des pages de ce texte largement autobiographique d’Eric Dupont se sont peu à peu envolés.
Années 80, au Québec, le narrateur est un jeune garçon fasciné par le savoir encyclopédique, le monde animal, la philatélie et… Henri VIII et ses femmes. Une chance car, pour se remémorer les années du divorce parental et les épisodes traumatisants vécus à ce moment là, il faut une bonne dose d’humour. Se succèdent ainsi des chapitres aux noms étonnants et bien peu évocateurs : le chat, le vacher à tête brune, le bigorneau, le chien, les poules, le grand-duc d’Amérique et le canari relatent la vie chaotique de l’auteur-enfant et de sa sœur, confiés à leur père qui leur enjoint d’oublier leur mère. La faute, sans doute, à la présence d’une nouvelle compagne auprès de leur géniteur : Anne Boleyn ! Cette dernière succédant à la reine Catherine d’Aragon (leur mère), avant de déchoir et de céder sa place à Jane Seymour. Imaginer le père en Henri VIII, ses différentes compagnes en femmes célèbres afin de mieux exprimer les doutes, les souffrances, le chagrin de cette rupture d’avec la mère, voilà assurément une belle trouvaille. Eric Dupont, en se rappelant ces épisodes d’enfance, convoque son imaginaire d’alors avec bonheur. On sourit souvent devant l’acuité du jeune garçon campant son paternel en roi autoritaire, soumis devant l’impétrante Anne. D’autres fois, la solitude du gamin, sa difficulté à trouver une place dans cette « cour royale », l’incompréhension quant à l’absence de la mère émeuvent.
On peut regretter l’absence du point de vue de la sœur, peu partagé, ou une écriture qui tient parfois à distance le lecteur mais raconter l’après-divorce, la famille recomposée à hauteur d’enfant n’est pas simple. Même s’il s’est écoulé bien des années depuis…