Les internautes l'ont lu
Je découvre la plume de Patrick Roegiers avec ce roman polémique de la rentrée. L’autre Simenon est un roman qui peut avoir plusieurs entrées de lecture. Il est pour moi tout d’abord un petit cours d’histoire. En effet il nous décrit un pan de notre passé belge, que l’on préférerait oublier. Bien sûr j’avais entendu parler de Degrelle et du rexisme mais ici on immerge complètement dans le phénomène de sa genèse à la fin. Le mouvement rexiste est né à l’initiative du « paon des Ardennes », Léon Degrelle originaire de Bouillon. Il le crée en 1936. C’est un bon orateur et il possède un immense charisme. Très vite il parviendra à rassembler des personnes de toutes les classes sociales. Il remplira le Palais des Sports six jours durant du 19 au 24 janvier 1937. Les gens payaient cinq francs à l’époque pour l’écouter et donnait une aumône à la sortie, c’est vous dire le pouvoir de cet homme. Christian ira « voir » et s’engagera dans cette tourmente. Le roman nous raconte l’évolution du mouvement durant la guerre, le rapprochement d’Hitler et de Mussolini, la montée du fascisme, la collaboration, la violence, la peur, la tuerie de Courcelles, les règlements de compte, le procès et la fin du mouvement. L’autre Simenon pour diverses raisons : Les frère Simenon pourraient être le prétexte pour en parler mais c’est là qu’on découvre la seconde entrée de lecture qui nous relate les liens et différences entre deux frères. Christian est le cadet. Trois ans le séparent de Georges, c’est le préféré de sa mère Henriette. Il n’existe pas, n’a pas de réel projet de vie. Il est faible, indécis, médiocre, il a toujours été dans l’ombre de Georges, le chouchou de son père et des profs. C’est une proie facile comme beaucoup. En adhérant au rexisme, il va enfin exister à travers le mouvement, c’est un suiveur. Il obéira aux ordres et deviendra un criminel de bureau. Sans personnalité, il sera la cible idéale à modeler, exécutant sans initiative, victime presque. Mais le vers est dans le fruit, il le poussera à l’irrémédiable. « Il avait été happé par les mâchoires d’un Ogre qui le recracherait après l’avoir digéré » Georges quant à lui est célèbre et reconnu. Il a très vite quitté le pays pour grandir dans son art, a rencontré gloire, confort et opulence. Laissé pour compte de sa mère qui préféra toujours Christian. Il s’est vite mis en lumière , opportuniste sachant à tout moment rebondir. Georges dans la lumière a pourtant un côté obscur…. Il a écrit des propos antisémites, admiré Brasillach -écrivain d’extrême droite. Il a gagné beaucoup d’argent pendant la guerre, ses livres ont été adaptés au cinéma durant cette période trouble, il n’a manqué de rien pendant les restrictions, il se rendait régulièrement au bordel fréquenté par des nazis… Pourquoi a-t-il gommé son frère de sa biographie ??? Georges a toujours su rebondir, profiter des situations, interdit de publication après la guerre après quelques mois assigné à résidence, il a su tirer son épingle du jeu comme toujours. Patrick Roegiers nous dépeint l’horreur de cette période, de la création du mouvement en passant par son apogée. Degrelle et sa fascination pour Hitler et Mussolini, la délation, la peur, les massacres, rien ne nous sera épargné. Et pour insister et taper sur le clou, il le fait dans une écriture lyrique avec une prose déroutante, telle une diarrhée verbale, redondante et répétitive. J’ai trouvé le style approprié. La plume est incisive, un peu surréaliste par moments. Certaines scènes apparaissaient pour moi comme un tableau de Jérôme Bosch, allez savoir pourquoi ? Cela remue, l’humour est présent, ironique, un rire jaune, acide et caustique. De petites phrases reviennent régulièrement semblables à des comptines, une ritournelle qui aère et allège le récit, de véritables respirations. J’ai vraiment apprécié ce roman, j’insiste c’est bien un roman construit au départ de la biographie romancée de Simenon. J’ai apprécié qu’à la dernière page soit mentionné le factuel afin de faire la part des choses. Ma note : 9/10 Les jolies phrases On n’arrête pas la lave d’un volcan avec un couvercle de casserole. Les blagues, mon vieux, c’est comme les frites. Trop grasses ou trop salées, elles ne passent pas ! Comme les vautours qui se repaissent de cadavres et de détritus, et détectent leur proie du haut des airs, il survolait les hommes, sans avoir besoin de personne…. Qui porte des oeillères est borné. Il traversait la ville comme la vie, sans la regarder. La vie n’avait pas de vie. La tarentule du rexisme tissait partout sa toile. Aspirant le chaland comme une pieuvre dans ses tentacules. Peu importe ce que l’on croit du moment que l’on y croit. Le rexisme prospérait comme les orties dans un terrain vague ou un champ en friche. L’enfance est l’époque la plus déterminante de l’existence. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, elle se poursuit toute la vie. Il ne cherchait pas à savoir « qui » il avait tué, et entrait dans la tête du coupable. C’était la vie sans la vie. Que pouvait-on lui reprocher ? Tout le monde profitait de la situation puisque rien ne pouvait la changer. Le meilleur moyen de sauver sa peau, c’était de hurler avec les loups. Je préfère être un salaud qu’un lâche. L’un n’empêche pas l’autre. Ne pas vouloir savoir, c’est déjà tout savoir. Si on gratte, on trouve. Rien n’est plus dangereux que la stupidité. Comme l’imbécilité attirait la méchanceté, Rex engendrait la haine qui sourd du ressentiment, mais ce n’était pas un sentiment. C’était la raison d’être de Rex et même sa seule idée. Degrellisé comme des tas d’autres, il s’était mis dans l’engrenage d’une machine infernale dont il ignorait le mécanisme et qui allait le broyer dans ses rouages. Bouillon était le nid de la Germanie. Degrelle, le Rastignac du nic-nac, était le Bismark du bretzel. Le Rhin prenait sa source dans la Semois. Les Ardennes avaient enfanté la Forêt -Noire. Les Wallons au berceau lapaient du schnaps au biberon. Ils n’avaient rien à voir avec le régime de Vichy. Il n’avait jamais tiré sur quelqu’un. Mais on lui assurait une prime élevée. La fin justifiait les moyens. Il était prêt au pire. Il n’était qu’un exécuteur. Ceux qui avait déjà tué tuaient pour tuer. Tuer c’était exister. Christian tue dans l’ordre où ils arrivent, sans haine. Tirer comptait autant que tuer. Christian a basculé dans l’irrémédiable. Il avait passé la ligne qui le séparait des autres et s’était affranchi de la morale ordinaire. Quel privilège pour l’homme que d’ignorer le futur. Mourir était la seule manière de mettre fin à la guerre. A la guerre, rien n’est perdu tant que TOUT n’est pas perdu. Retrouvez Nathalie sur son site |
|