La petite lumière
illustration Brigitte Lanaud Levy
Inaugurée en 1986 par Marguerite Duras, située à deux pas de la très populaire rue Daguerre, cette ancienne librairie « Arbre à lettres » a changé en juillet dernier de propriétaire et de nom. Comme le roman d’Antonio Moresco, elle s’appelle désormais « La petite lumière » et c’est le sémillant Olivier Renault accompagné de Anne Pascale Séraphini qui l’a reprise après le départ à la retraite de sa fondatrice Martine Dantin. Il faut dire que cette institution de la vie littéraire de Montparnasse, Olivier Renault la connaît bien. Cela fait 14 ans qu’il la dirige. Et pas seulement, car cet homme aux multiples talents, amoureux de son quartier et de ses artistes, est aussi l’auteur de « Montparnasse – lieux de légendes » (Parigrammes) « Rouge Soutine » et « Bonnard, jardins secrets » (La petite vermillon). Hors les murs de sa librairie, il exprime toute sa passion pour les livres en faisant des chroniques pour Art Press et Pages de libraires. Bien que très pris par toutes ses activités, c’est lui qui nous accueille très chaleureusement, en prenant le temps de nous parler avec fougue et enthousiasme de littérature. Une bien jolie rencontre pour démarrer 2016 du bon pied.
Quel est votre dernier gros coup de cœur :
Je vais remonter dans le temps, c’est un livre de mars dernier de l’écrivain juif guatémaltèque Eduardo Halfon « Le boxeur polonais » (Quai Voltaire). Ce sont deux nouvelles autour de l’histoire du grand-père de l’auteur qui contrairement à ses proches avait survécu à Auschwitz. La seconde nouvelle, rejoint la première pour mieux la bousculer et nous questionner sur la frontière entre littérature et réalité.
Et en littérature française ?
« Léïlah Mahi 1932 » de Didier Blonde (Gallimard). C’est une enquête, non pas policière, mais littéraire autour de la photographie sur une plaque funéraire d’une mystérieuse femme dont on n’a que la date de décès et pas celle de sa naissance. Blaise Cendrars a écrit que le langage aussi est une aventure. C’est ce que nous propose Didier Blonde en partant sur les traces de cette femme troublante et mystérieuse.
À qui auriez-vous donné le prix Goncourt ?
J’hésite entre « La cache » de Christophe Boltanski (Stock) et « Les prépondérants » de Hedi Kaddour (Gallimard). Ce sont deux très beaux romans de l’automne.
Y-a-t-il un premier roman qui a marqué plus particulièrement votre attention ?
« Algèbre » de Yann Pradeau (Allia) qui aborde le destin incroyable du mathématicien de génie Alexandre Grothendieck disparu en 2014. Un livre qui entrecroise l’histoire du siècle passé et celle passionnante des mathématiques. Mais j’ai beaucoup aimé aussi « Comme neige » de Colombe Boncenne (Buchet/Chastel) qui paraît ces jours. Un roman-enquête dans le monde littéraire d’aujourd’hui sur les traces d’un livre perdu.
Et concernant cette rentrée de janvier que nous recommandez-vous ?
Je suis impatient de lire le roman très prometteur de Yann Gauchard « Le Cas annunziato ». (Minuit) Il se passe dans le musée national de San Marco à Florence, lieu que j’affectionne particulièrement et où j’ai un joli souvenir d’orangers sous la neige. Et pour février, je suis fébrile d’avoir entre les mains la grande saga ashkénaze « Solomon Gursky » de Mordecai Richler que doivent publier les Éditions du Sous-sol. Ce sera un livre évènement.
Quel est votre livre fétiche, celui que vous défendez depuis toujours avec ferveur ?
Vraiment ce n’est pas facile de répondre à cette question. Tout de suite, me vient à l’esprit « Paradiso » de José Lezama (Points), ce chef d’œuvre de l’un des maîtres de la littérature sud-américaine. Mais encore « L’affreux pastis de la rue des merles » de l’italien Carlo Emilio Gadda (Points). Mais bon, à choisir je vais retenir un grand classique français qui m’accompagne depuis toujours dans mon amour pour le 18e siècle: « Le neveu de Rameau » de Denis Diderot (Garnier Flammarion) . C’est le livre que j’ai le plus souvent relu. Il y a tout dedans sur les rapports sociaux, les intrigues, la théâtralisation des choses, la transmission du désir. On est à l’essence même de tout ce qui m’anime dans mon travail. « À quoi bon la médiocrité en ses genres ? »
Brève de librairie :
Cette anecdote qui m’a marqué, s’est déroulée dans une librairie où je travaillais, mais j’étais absent ce jour-là. Jean Noël Schifano, éminent traducteur de l’italien, critique littéraire et directeur de collection chez Gallimard faisait partie de nos fidèles clients qui passaient nous voir très régulièrement. Un jour sans nous prévenir et pour nous faire la surprise, il vient accompagné d’un ami barbu, de forte corpulence qu’il tenait chaleureusement à nous présenter. Situation délicate, aucun de mes collègues n’a reconnu spontanément l’immense Umberto Eco alors que nous l’admirions tous et avions vendu ses livres par milliers. J’aime cette histoire, car elle nous rappelle l’humilité qu’il faut avoir dans ce métier. On croit tout savoir d’un écrivain et là tout à coup on l’a sous nos yeux en chair et en os et on ne le reconnaît même pas.
Propos receuillis par Brigitte Lannaud Levy
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