Après Daesh dans « Le français » de Julien Suaudeau et la guerre en Irak dans « Chronique des jours de cendre » de Louise Caron, voici « Entendez-vous dans les montagnes… » de Maïssa Bey sur la guerre d’Algérie.
Ce livre est une auto-fiction : Maïssa Bey y raconte à travers un personnage fictif la mort de son père, torturé puis assassiné par des militaires français en 1957. Par le truchement de cette mise en scène à huis clos dans le compartiment d’un train, enécrivaznt à la troisième personne du singulier, Maïssa Bey essaye d’introduire un peu de distance par rapport à son histoire pour en rendre compte de façon, non pas détachée, cela serait impossible et oterait tout sa puissance au livre, mais objective. Elle n’en est que plus poignante.
Une femme prend le train, en France. Elle est d’origne algérienne. Elle partage son compartiment avec un homme et une jeune femme. La part de fiction que Maïssa Bey projette dans son livre lui permet de faire de ce huis clos une rencontre improbable entre elle-même, fille de fellaga, un ancien militaire français en poste dans son village pendant la guerre et une petit-fille de pied noir : trois protagonistes de la guerre à travers trois générations et trois antagonismes.
A partir de l’instant où la scène est définitivement plantée et claire pour le lecteur, Maïssa Bey ne lâche plus le lecteur. Avec des phrases souvent inachevées, avec des allers-retours entre présent et souvenirs, elle prend le lecteur par les tripes et ne lui laisse aucun répit, aucun repos et l’emmène avec ses personnages sur les chemins de la mémoire, de l’expiation, de la compréhension mais jamais ceux du pardon ou de l’excuse.
La guerre d’Algérie devient sou la plume de Maïssa Bey une affaire de convictions pour les uns, d’obéissance aveugle pour les autres et de fantômes du passé pour les derniers. En convoquant ces trois visions de la guerre d’Algérie, aucune ne cherchant vraiment à légitimer les actes qu’elle a induit, Maïssa Bey rend avant tout l’être humain responsable de ce qui s’est passé : culpabilité, remords, passivité, soumission, dédain, autant de faiblesses qui mises bout à bout conduisent aux pires atrocités.
A coup de conversations dans lesquelles les personnages ne finissent que rarement leurs phrases, Maïssa Bey fait passer autant de choses dans ses mots que dans ses silences, que dans les non-dits, mélangeant souvenirs, angoisses, peurs de ses protagonistes. C’est un livre touchant sans être larmoyant, dur sans oublier la part d’humanité en chacun de nous…