La rédaction l'a lu
Si je t’aime, prends garde à toi !On attend toujours au tournant un deuxième roman, surtout lorsque le premier a connu un joli succès, comme « Buvard », pour lequel Julia Kerninon avait obtenu plusieurs prix mérités en 2014. Eh bien, la jeune auteure poursuit son chemin, en nous racontant cette fois la naissance d’un amour entre deux êtres que tout sépare. Attila Kiss a eu deux vies. Marié pendant plusieurs années, il travaillait à Budapest avec son beau-père qui l’employait comme second couteau dans ses « affaires », des escroqueries à la petite semaine qui donnaient à Attila une illusion de toute-puissance. Après son divorce et une période de purgatoire, il s’installe sans bruit dans un quartier populaire de la capitale hongroise, travaillant de nuit dans une fabrique de foie gras où il est trieur de poussins, et s’adonnant à la peinture pendant la journée : dix ans de solitude routinière, à manger des boîtes de conserve. A 51 ans, il rencontre Theodora Babbenberg, ou plutôt c’est elle qui le trouve ; elle, l’Autrichienne de 25 ans, brillante, riche, spontanée et moderne. Très vite, elle s’installe chez lui, apportant dans ses valises sa candeur et son passé de petite fille gâtée. Attila au nom guerrier se laisse envahir, séduit et fasciné par cette jeune femme qui n’a pas froid aux yeux, parle six langues et prend l’avion comme lui le métro. Mais passé le temps de l’envoûtement heureux, tout lui semble faire obstacle à cette union : leur différence d’âge, de milieu et de patrie. Attila est rattrapé par un sentiment nationaliste et amer. Comment oublier qu’elle vient d’un pays qui a envahi le sien ? Ils devraient se détester au lieu d’incarner un couple austro-hongrois ! Mais, fin stratège, Theodora se replie dans une guerre de position et découvrira ce que cache la fierté d’Attila qui se croyait libre et imprenable. Il devra aussi apprendre que déposer les armes n’est pas la faiblesse des lâches, mais la sagesse des grands princes, et qu’en amour, il ne faut pas se tromper d’ennemi. Cette histoire « n’était pas censée arriver », mais dès le prologue magnifique du « Dernier amour d’Attila Kiss », vous serez conquis par le style élégant et fluide de Julia Kerninon, qui se renouvelle tout en creusant son sillon, jetant dans l’arène deux personnages en quête d’identité qui se construisent en se toisant. Sous le prosaïsme contemporain, la poésie affleure, inattendue et sensible : un touché coulé pour le lecteur.
Les internautes l'ont lu
Un prisme original pour parler d’un thème universel.
L’amour et la guerre. L’amour comme une guerre. Pas très nouveau me direz-vous. Depuis la nuit des temps on utilise un vocabulaire guerrier pour parler d’amour. Conquérir, négocier, déposer les armes… Aimer est souvent un combat. Mais Julia Kerninon choisit de tirer ce fil jusqu’au bout, en explorant les moindres recoins de la mémoire des deux amoureux dont il est ici question, les blessures passées, celles qui les dépassent, celles que d’autres acteurs de conflits antérieurs n’ont fait que creuser. « Lorsque deux individus se rencontrent et cherchent à entrer en contact jusqu’à se fondre, cela commence toujours comme commence une guerre – par la considération des forces en présence ». Et les forces en présence ont tout pour s’opposer. Attila a 51 ans, il est hongrois et pauvre. Theodora a 25 ans, elle est autrichienne et héritière d’une riche famille de l’aristocratie viennoise. Les différences d’âge et de culture auraient déjà suffi à créer nombre d’obstacles. L’histoire de l’empire austro-hongrois, inscrite dans le sang de millions de descendants de ses différentes entités ballotées au gré des guerres passées vient compliquer encore la situation. Attila porte en lui toute l’humiliation d’un peuple sacrifié par les Empereurs successifs, passé sous le joug de puissances destructrices (Allemagne, URSS…). Le regard qu’il porte sur Theodora ne peut, dans un premier temps se libérer de cette influence. « Lorsqu’il avait rencontré Theodora, il avait eu peur d’elle et de tout ce qu’elle impliquait, peur de sa force, de son audace, et à présent c’était comme s’il avait enfin trouvé un alibi, c’était presque confortable, il pouvait prétendre que sa première émotion n’avait pas été le vertige inhérent à l’amour, mais une forme de pressentiment atavique, penser que le Hongrois en lui avait reconnu dès le premier instant l’Autrichienne privilégiée qu’elle dissimulait, qu’il n’avait jamais été dupe, mais simplement patient, tenace, stratège, et qu’à présent il l’avait enfin débusquée ». La naissance du couple que nous conte Julia Kerninon est un cheminement qui emprunte aux mouvements guerriers, un lent apprivoisement entre deux amants qui peuvent se percevoir comme des adversaires. L’amour qui les guide ouvre leur esprit, les incite à la confiance, à l’abandon. Ils s’apprennent. Ils surmontent leurs passés respectifs, voire leurs passifs. Ils s’autorisent enfin à être heureux, dans l’instant présent. On retrouve dans ce nouveau roman, la plume alerte et acérée qui avait déjà impressionné avec Buvard, mise ici au service d’une dissection convaincante des différentes phases de la montée du sentiment amoureux. Quelques fils conducteurs aussi. Le combat qu’un individu doit souvent livrer avec lui-même. Le pouvoir cicatrisant de la peinture. L’envie d’échapper au monde qui mène à la solitude. Il m’a bien plu, moi, cet Attila Kiss. Avec ce livre, l’auteure trouve un prisme original pour traiter d’un thème universel. Et dévoile un peu plus son univers singulier, guidé par une belle ambition littéraire. Si j’étais critique littéraire, je dirais que c’est une jolie confirmation. Retrouvez Nicole sur son blog |
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