On est ici plutôt dans le roman d’anticipation. Antoine vit seul dans sa maison. Autour de lui, une société exsangue survit dans un environnement desséché où l’eau est un des derniers enjeux avec l’électricité et la préservation des personnes. Des bandes de jeunes, violentes, régentes des parcelles de ville, dominent des zones où il ne fait pas forcément bon s’aventurer. Et pourtant Antoine s’y rend et photographie les lieux et les gens qu’il croise. Il déambule ainsi au milieu des édifices publics laissés à l’abandon, dont l’ancien établissement scolaire où il était professeur avant le drame vécu par sa fille et dont il se sent responsable. Chloé, 17 ans, est internée depuis l’âge de 8 ans. Que s’est-il exactement passé ? Pourquoi Antoine se sent-il responsable ? Je ne vous le dirai pas même si cela se devine et se sait rapidement. Là n’est pas tant l’intérêt du livre. Le propos le plus intéressant du livre repose dans la question du souvenir. Chloé ne se souvient de rien ou feint de ne pas se souvenir. Antoine photographie le monde qui l’entoure pour en laisser un témoignage à sa fille. La femme d’Antoine a « abandonné » mari et fille pour aller s’installer aux Etats-Unis et avoir un travail suffisamment lucratif pour pourvoir aux besoins de sa famille : par cette fuite elle marque son besoin d’oublier. Antoine, par un concours de circonstances issues tout droit de son passé, se retrouve à quitter son domicile en emmenant sa fille (dont l’institut psychiatrique doit fermer faute de moyens humains et financiers) pour partir sur les traces de la filmographie de son amour de jeunesse devenu documentariste à succès et décédé brutalement. Là aussi, on retrouve ce besoin d’aller chercher les traces du passé pour les protéger, les sauvegarder. Mais était-ce vraiment mieux avant ? N’y a-t-il donc rien à sauver dans ce monde qui vit sous la coupe d’un climat déréglé ? N’y a-t-il de survie possible que dans la fuite ? Antoine et Chloé vont devoir s‘inventer un futur : tisser une nouvelle relation entre eux qui passe par le regard extrêmement tendre et pourtant réaliste que porte l’un sur l’autre, refonder une nouvelle société, un nouveau microcosme mais pas seuls… Dans un monde que l’on sent en déclin, c’est finalement l’humain qui prend le dessus et permet de fonder quelque espoir en l’avenir. La déstructuration du paysage urbain laissé à l’abandon et admirablement décrit par Michèle Astrud force ces néo-pionniers à envisager leur survie en dehors de cet urbanisme, dans une sorte de retour à la terre salvateur. La lumière symbolise cet espoir en un avenir, nous n’irons pas jusqu’à le qualifier de meilleur, possible. C’est la lumière des phares, c’est la lumière des levers de soleil, c’est la lumière des caméras qui projettent des films sur l’écran. La lumière est symbole de vie, de renouveau. Elle est limpide comme le texte de Michèle Astrud qui demande un temps d’adaptation avant de pouvoir pleinement l’apprivoiser.