Sonatine récidive : juste après « Viens avec moi », notre premier coup de coeur 2016, voici déjà une autre belle surprise. Une histoire non formatée, dérangeante, dans laquelle on entre sans deviner ce qu’elle réserve, jusqu’à une issue imprévisible. « La Nuit derrière moi » est le portrait d’un pur médiocre doublé d’un franc salaud. Rayon médiocrité, Furio Guerri, VRP dans l’imprimerie, avale des kilomètres de bitume pour décrocher des contrats de catalogues, de tracts ou de prospectus. Un quotidien morne, répétitif, dans une Italie du Nord sans charme et où, pour faire son chiffre, il mise moins sur la conviction que sur le mensonge et le bluff. Côté saloperie, le voici qui s’incruste dans un collège et sympathise avec une prof pour espionner les élèves. Puis qui se fait payer en nature par l’assistante d’un client avant… d’aller rejoindre sa magnifique épouse et leur petite fille.
Gros malaise. Qui est vraiment ce Furio ? Le monologue intérieur du petit représentant n’est que cynisme et lâcheté, amertume et cruauté, plaçant sa première nuit d’amour avec sa femme sur le même plan que son premier bon de commande. Mais le père de famille en lui sait aussi se montrer tout en retenue, à l’écoute, débordant d’un amour sincère. Pensées et actes ne sont pas toujours raccord. Où est donc son vrai visage ? En fait, l’auteur nous balade entre deux récits imbriqués, sitiués dans deux temporalités différentes. L’une est le passé, mais laquelle ? Le personnage est-il une ordure repentie ou en devenir ? Cette confusion savamment entretenue est un des attraits du livre, le balancement des points de vue préservant de bout en bout l’ambiguité du « monstre ». Un suspense psychologique dense, sur fond de satire sociale : l’auteur dépeint avec un réalisme cru, dans la résignation des années berlusconiennes, une petite-bourgeoisie bornée et des rapports de travail aliénants… En prime, ce vrai styliste démontre un sens aigu de la formule assassine. Giampaolo Simi a vraiment tout bon.